17.01.2025 par MAF
num.345 février 2025 p.24 La vieillesse est un naufrage
J’ai rendu visite à mes grands-parents nonagénaires hier. Leur démarche chancelante, leurs propos confus, leurs regards embrumés, leurs mains terriblement ridées, leurs peignoirs défraichis, les photos encadrées, les souvenirs figés, cet angoissant déclin m’ont rendue profondément triste. Bien sûr, certains diront que c’est dans l’ordre des choses. Je suis d’un autre avis. Charles de Gaulle a écrit « La vieillesse est un naufrage ». C’est à ceci que je souscris. Et puisqu’il est question de naufrage, comment ne pas penser à celui du Titanic, dans les eaux glacées de l’océan Atlantique, une nuit de 1912 ? Le film éponyme, chef-d’œuvre absolu de James Cameron, est selon moi l’une des plus belles allégories du temps qui passe... Lorsque l’on vient au monde, on embarque, tout comme les passagers du prestigieux paquebot, pour un voyage plein de promesses, de possibles et d’espoirs ! Apercevoir la Statue de la Liberté, vivre le rêve américain, faire fortune, tomber amoureux ! L’horizon est vaste, les projets nombreux et l’idée de la mort, du naufrage, complètement impensable. On est jeunes, on pense qu’on est les rois du monde, que rien ne peut nous arriver, qu’on est insubmersibles. On danse, on rit, on s’aime, on court, on plane. Les aficionados se souviendront peut-être des scènes auxquelles je fais allusion : Jack et Rose sur la proue du bateau, follement heureux, les bras grands ouverts, le cœur battant, leurs claquettes endiablées au son des cornemuses irlandaises, leur joie de vivre, leur bonheur, le lien qui les unit. Jusqu’à ce que la mort les sépare... Parce que oui, l’iceberg est bien là, il attend, dans la brume, l’obscurité et le froid. Le Titanic somptueux, si grand, si solide d’apparence, si merveilleusement vivant se dirige droit dessus, et l’on a beau s’agiter, se démener, actionner tous les rouages possibles, rien ne peut arrêter l’inévitable choc. Mes grands-parents, eux aussi, ont vécu passionnément, se sont aimés très fort. Ma grand-mère fut si belle paraît-il... Ils ont eu trois enfants, des ribambelles d’animaux et des amis loyaux. Seulement le jour de ma visite, ils n’entendaient presque plus rien, peinaient à s’habiller, à sourire et même à se souvenir. La vieillesse de mes grands-parents est à mes yeux aussi tragique que le naufrage du Titanic. Effroyable, magistral. L’agonie de ce vaisseau colossal, qui se dresse dans une posture invraisemblable et semble crier son inouïe douleur et sa détresse immense aux cieux qui le contemplent sans ciller, avant de s’effondrer et de sombrer, est tout à fait déchirante. Puis vient la fin, les lumières qui s’éteignent, les violons qui se taisent, la ferveur qui s’en va, l’horizon qui s’enfuit. La jeunesse de mes grands-parents, le monde d’hier dans lequel ils vécurent sereins, sont désormais engloutis. Les vestiges de leur histoire sont gravés dans nos cœurs, dans les murs de leur maison et dans un océan d’Amour. Je prie pour que le jour où ils s’en iront pour de bon, ils retrouvent les êtres aimés et les lieux qui leur furent chers. Their souls will go on. Manon auteur : Manon Frésard
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