30.06.2024 par FIB
num.339 juin 2024 p.08
La Versoix: une rivière en danger

C’est une tradition familiale de faire des baignades rafraîchissantes en été à l’embouchure de la Versoix afin d’échapper aux foules et aux grosses chaleurs. Les informations récoltées en février pour l’article sur le projet de décharge aux Tattes-de-Bogis m’ont cependant questionnée sur la qualité des eaux limpides et généreuses de cette rivière emblématique dont les vagues figurent sur le drapeau de notre commune. Est-il possible qu’avec notre conscience environnementale d’aujourd’hui nous puissions continuer à perpétuer les traditions et à utiliser nos rivières comme des égouts à ciel ouvert ?

Après avoir mené l’enquête, voici donc une liste non exhaustive des sources de pollution existantes et potentielles de la Versoix tout au long de son cours de 22 kilomètres entre les sources à Divonne-les-Bains jusqu’à l’embouchure du lac Léman :

Décharge de Vesancy : située sur la zone d’infiltration de l’eau minérale de Divonne-les-Bains et des sources de la Versoix, cette ancienne carrière a été exploitée sans aucun contrôle entre 2006 et 2015. Elle a repris ses activités en 2022 sans aucune concertation transfrontalière ni analyse d’impact environnemental et a déjà atteint 80% de sa capacité maximale de 300'000 m3 de stockage de déchets inertes

Décharge de Chauvilly : cette ancienne décharge d’ordures ménagères, déchets industriels et encombrants est devenue dès la fin des années 1990 un site de stockage pour déchets inertes en provenance du Pays de Gex et du bassin genevois. La pression exercée sur les déchets en décomposition ensevelis pollue la nappe phréatique et entraîne des jus de poubelle dans le Maraîchet, un affluent de l’Oudar qui se jette dans la Versoix. Des analyses de sols et d’eau ont révélé de fortes teneurs en nitrites et en métaux tels que chrome, arsenic, nickel, plomb et ammonium ainsi que des PCB. La rupture d’une digue d’un bassin de rétention en juin 2018 avait dévasté 10’000 m2 de forêt et 6 km de rivière provoquant une importante pollution jusqu’au lac Léman.

Affluent l’Oudar : principal affluent de la Versoix, ce ruisseau recueille les eaux des stations d’épuration de Versonnex et de Vesancy et présente une qualité physico-chimique et sanitaire médiocre (micropolluants pharmaceutiques, résidus médicamenteux, ammonium et bactéries E-coli). Il souffre aussi de sécheresse en été en raison du pompage intensif des nappes d’eaux superficielles ce qui porte atteinte à la faune et flore environnante.

Zone urbaine de Divonne-les-Bains : malgré ses aspects idylliques de jeune rivière serpentant entre les habitations, la Divonne subit régulièrement des pollutions sporadiques dues à des pratiques de citoyens inconscients (lavage de voiture, usage d’herbicides, etc) causant la destruction du milieu aquatique en aval.

Centre équestre de Divonne-les-Bains : sa présence en bord de rivière comporte de nombreux risques pour la fertilité de l’écosystème et les frayères de poisson en raison de l’ensablement par la piste d’équitation et de la pollution des eaux liée au stockage du fumier et des médicaments contenus dans les déjections de chevaux.

Station d’épuration de Divonne-les-Bains : en raison des apports d’ammoniaque et de matière organique biodégradable, la qualité sanitaire de la Versoix devient très mauvaise à l’aval de cette STEP et reste impropre à la baignade jusqu’à l’embouchure du lac malgré le rôle important d’autoépuration joué par les marais.

Anciennes décharges : les ordures ménagères des communes françaises limitrophes ont été déposées pendant des décennies sans véritable contrôle dans des sites le long de la Versoix. Le site le plus important, à côté de la STEP de Divonne-les-Bains et du camp des gens du voyage, est constitué par une butte de 3 mètres de déchets recouverte de terre et de végétation. De nombreux sacs d’immondices éclatés transparaissent laissant deviner l’ampleur de cette pollution à retardement pour les eaux de surface et souterraines. Une future déchetterie municipale est prévue juste en face de ce site présentant des risques de pollution additionnels dans une zone à biodiversité sensible.

Projet de décharge aux Tattes-de-Bogis : à proximité immédiate des marais de la Versoix entre Chavannes-des-Bois et Chavannes-de-Bogis, cette immense décharge (4 à 9 mètres de haut sur 2 km) permettrait le dépôt de 1.6 million de m3 de matériaux d’excavation et de démolition contenant de l’amiante agglomérée et des résidus de métaux lourds. En raison de la déclivité du terrain, les eaux de ruissellement s’écouleraient dans les marais et la rivière avec une forte probabilité de pollution chimique.

Affluent le Creuson : trouvant sa source dans le bois des Portes à Commugny, ce ruisseau longe l’autoroute A1 pour se jeter dans la Versoix au niveau de la Bâtie. Il reçoit les eaux de l’autoroute et des activités de cette zone agricole lors de fortes pluies, d’où une concentration en pesticides et métaux dépassant régulièrement les exigences fédérales.

Centre équestre de Versoix- La Bâtie: comme cité plus haut, les activités équestres en bordure de rivière présentent des risques pour la fertilité de la biodiversité (fumier, ensablement, etc.).

Ancienne papeterie de Versoix: les sols aux alentours de la papeterie sont suspectés d'avoir été pollués durant des décennies aux PFAS (polluants éternels) employés à l'époque dans l'industrie du papier, avec un risque d’infiltration dans les eaux souterraines.

Considérant la quantité et la diversité des sources de pollution répertoriées, il est une évidence que cette splendide rivière, avec ses milieux naturels et ses eaux souterraines, est de plus en plus menacée des deux côtés de la frontière. La dégradation graduelle de la qualité des eaux de la Versoix a d’ailleurs entraîné ces dernières années une diminution significative du nombre d’espèces vivantes et de la biomasse (nombre d’individus par espèces), avec en particulier une forte baisse du peuplement piscicole constatée par les pêcheurs.

Le projet de décharge aux Tattes-de-Bogis (voir encart ci-joint) est la goutte d’eau qui fait déborder le vase et doit mener à une prise de conscience urgente de la situation. Le dialogue entre les autorités françaises, genevoises et vaudoises doit être réinstauré pour une protection globale du cours d’eau, en raison notamment de la croissance démographique intense du Pays de Gex et de Terre Sainte. En vertu de la Convention d’Espoo signée par nos deux pays, une discussion avec le pays voisin peut notamment être entamée lorsque des activités ont un impact transfrontalier nuisible à l’environnement. De plus, les contrats de rivières des années 2000 et le contrat corridors « Vesancy-Versoix », qui ont permis une bonne collaboration jusqu’en 2019, pourraient être relancés avec les moyens nécessaires.

Avec ses eaux abondantes et fraîches offrant un milieu de vie unique et précieux à toute une biodiversité terrestre et aquatique, la Versoix est un havre de paix et un bien commun qui dépasse les frontières. Il est de notre responsabilité de protéger les bienfaits qu’elle procure pour les habitants de notre région et pour les générations à venir afin qu’elle ne devienne pas un paradis perdu. Et afin de pouvoir s’y baigner à nouveau en toute quiétude.

Fiona Blum

A mettre dans un encart à côté de l'article:

L’association EcoLaVersoix a été fondée pour protéger la biodiversité de la Versoix et s’opposer au projet de décharge aux Tattes-de-Bogis. Vous pouvez la soutenir en signant la pétition sur son site, en devenant membre et en consultant son site pour les actions à venir : www.ecolaversoix.ch

 

auteur : Fiona Blum

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