18.05.2024 par MAF
num.339 juin 2024 p.05
Hymne à la Mère

« Avec l'amour maternel, la vie vous fait à l'aube une promesse qu'elle ne tient jamais. »

Ainsi Romain Gary résuma-t-il, dans sa poignante « Promesse de l'aube », l’ensemble de ses désillusions. Lui qui avait connu, et surtout reconnu, l'amour inconditionnel et inégalable que seule une mère est capable d'offrir à son enfant... Il ne retrouva jamais pareil amour et mena une vie de continuelles déconvenues. « On revient toujours gueuler sur la tombe de sa mère comme un chien abandonné. Jamais plus, jamais plus, jamais plus. Des bras adorables se referment autour de votre cou et des lèvres très douces vous parlent d’amour, mais vous êtes au courant. Vous êtes passé à la source très tôt et vous avez tout bu. Lorsque la soif vous reprend, vous avez beau vous jeter de tous côtés, il n’y a plus de puits, il n’y a que des mirages » ajoutait-il, inconsolable.

Tragique entrée en matière de ce billet d’humeur rédigé en l’honneur de nos mères, en ce mois de mai qui les célèbre. Mais aborder le thème de l’amour maternel sans citer les mots de Gary, certes désespérés mais également empreints d’une adoration absolue, me paraissait inconcevable. Ils font écho à l’amour que je porte à ma propre mère et que j’observe si souvent autour de moi. Cet attachement s’explique en partie scientifiquement. Il est notamment possible d’évoquer l’ocytocine – l’hormone de l’amour – qui à l’arrivée d’un bébé augmente drastiquement dans le sang maternel et renforce l’attachement. En outre, dans le cerveau de n’importe quelle mère, le système de récompense s’allume lorsqu’on lui montre des photos de son enfant. Certaines études récentes suggèrent même que les microchimères, ces cellules échangées entre une mère et son fœtus lors de la grossesse, pourraient jouer un rôle essentiel dans la défense et la réparation des tissus maternels. Des dizaines d’années après la naissance, les cellules de l’enfant protègent encore celles de sa mère, troublant... Mais le lien extraordinaire qui unit une mère à son enfant puise également ses racines dans quelque chose de supérieur, de presque spirituel. D’ailleurs, le philosophe Henri-Frédéric Amiel écrit que « l’amour maternel est le seul amour qui se rapproche un peu de l’amour divin ».

Une chose est sûre, nos mères sont les seuls êtres capables de nous aimer tels que nous sommes, sans rien attendre en retour. Ainsi, dans son si nostalgique « Livre de ma mère », Albert Cohen se souvient : « Édentés ou non, forts ou faibles, jeunes ou vieux, nos mères nous aiment. Et plus nous sommes faibles et plus elles nous aiment. Avec les amis, les amantes, il me faut un peu paraître, dissimuler. Avec ma mère, je n’avais qu’à être ce que j’étais, avec mes angoisses, mes faiblesses, mes misères du corps et de l’âme. Amour de nos mères, à nul autre pareil. »
Cet amour infini nous marque, évidemment. Et dans les pires instants de l’existence, au dernier souffle de ceux que la vie condamne précocement, il n’est pas rare que « maman » soit l’ultime mot prononcé. Parmi les nombreux témoignages poignants que j’ai lus, je choisis de partager avec vous un extrait de la lettre d’adieu qu’Arthur Lambert, résistant français fusillé à seulement 22 ans durant la Seconde Guerre mondiale, a adressée à sa mère le jour de son exécution : « Ma chère Maman, pardonne-moi toute la peine que j’ai pu te faire. C’est un peu triste de mourir sans avoir rien fait et ne pas avoir été coupable. De là-Haut, je demanderai à Dieu qu’il diminue le plus possible tes peines sur Terre. Je vous embrasse tous, surtout toi Maman. Ne pleure pas, je t’aime tant. »

Mais lorsque nos mères s’en vont avant nous, à quel chagrin effroyable devons-nous alors faire face ? Comment se remettre d’un déchirement aussi incommensurable ? Romain Gary semble avoir tout particulièrement regretté le regard de sa mère, Nina : « Elle avait des yeux où il faisait si bon vivre que je n’ai jamais su où aller depuis ». Et en effet, où retrouver des yeux et des rires aussi tendres que ceux de nos mères, des étreintes aussi réconfortantes que les leurs, une telle douceur, cette patience infinie, ce dévouement total et ce soutien sans faille qui les caractérisent ?

Je n’ai pas de réponse à cette question vertigineuse. Néanmoins Chères Lectrices, Chers Lecteurs, je vous engage, si vous avez encore la chance d’avoir vos mamans près de vous, à les aimer aussi passionnément qu’elles vous aiment. A les choyer. A prendre soin d’elles. Dites-leur que vous les trouvez belles, prenez-les dans vos bras, serrez-les contre vos cœurs, de toutes vos forces ! Ainsi au soir de vos existences, vous vous épargnerez, je l’espère, les remords d’Albert Cohen. Ce dernier n’a pas su aimer suffisamment sa propre mère tant qu’elle était là et ne s’en est jamais remis : « Fils [et filles] des mères encore vivantes, n'oubliez pas que vos mères sont mortelles. Je n'aurai pas écrit en vain, si l'un de vous, après avoir lu mon chant de mort, est plus doux avec sa mère. Aimez-la mieux que je n'ai su aimer ma mère. Que chaque jour vous lui apportiez une joie, c'est ce que je vous dis du droit de mon regret, gravement du haut de mon deuil. »

Manon

auteur : Manon Frésard

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