30.04.2022 par SSP
num.319 juin 2022 p.20
Témoignage pour l'avenir

Jeudi 28 avril, à la salle des fêtes rénovée de Carouge, Esther Senot (94 ans) venait de Paris pour participer à la commémoration annuelle de Yom Hashoah, organisée par la communauté israélite de Genève. La salle était plus que comble, après deux ans de commémoration à distance. La soirée s'est ouverte sur des discours de circonstances qui ont évoqué le tragique retour de la guerre en Europe ; un conflit dans lequel au moins deux survivantes de la Shoah ont péri, dans des conditions hélas bien similaires - la misère, la douleur et l'angoisse - à celles dont elles avaient réchappé 80 ans auparavant.

Puis Madame Senot a déroulé pour l'assistance le fil de son adolescence, entre 1939 et 1946, entre ses onze et ses dix-huit ans, comme elle l'avait déjà fait le matin même devant les élèves de 11e année du C.O. Montbrillant. Elle avait leur âge quand sa vie a basculé, et leur intérêt était vif pour lui poser des questions malgré la fin des cours.

Pourquoi les salles étaient-elles combles ? Pourquoi ces personnes qui disparaissent sont-elles si précieuses et pourquoi vouloir les écouter raconter une histoire si bien connue ? Outre l'addition de toutes les chances qui ont permis la rencontre avec Madame Senot - dernière des deux survivantes revenues du convoi 59 parti de Paris chargé de 1000 personnes - le fait de l'écouter raconter son histoire avec une constance remarquable nous ramène à notre nature humaine. L'humanité s'est construite sur des récits, une capacité qui est détruite par la violence subie. Le silence est à la fois le lot des victimes et l'opportunité des criminels. Malgré la promesse faite à sa soeur mourante dans le camp, Esther Senot ne commencera à témoigner qu'en 1985, après 30 ans d'un silence nécessaire à la société qui l'entourait, et peut-être à sa propre reconstruction personnelle. Cette parole, après ce long silence, a ouvert la voie à d'autres témoignages sur d'autres sujets. Cette parole des premiers témoins, dans le traitement qui lui a été accordé : une valeur au-delà de la précision scientifique, a bouleversé notre rapport aux émotions, a permis de valider l'expérience personnelle et de libérer et gérer des souffrances enfouies. Cette première ère des témoins qui tire à sa fin a permis le développement de quantité de progrès dans la psychothérapie, et la possibilité de réparer une partie de ce qui avait été brisé.

Rencontrer des survivants, s'intéresser à leur parcours, c'est aussi entrer dans ces processus et en tirer des forces pour notre présent et notre avenir. Ces personnes sont la preuve de la plus grande résilience, elles ont enduré et surmonté les pires expériences et elles ont choisi le partage, en conscience, la vie contre la destruction, elles en sont les vainqueurs ultimes et les écouter nous enseigne un peu de leur force. Des rencontre irremplaçables.

auteur : Sarah Schmid-Perez

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