14.03.2016 par YR
num.257 avril 2016 p.13
Le collectif de la Bécassine, une lutte contre vents et marées

Le collectif de la Bécassine, une lutte contre vents et marées

Chaque année, aux entournures de la fin de l’hiver, quelques bénévoles se donnent rendez-vous pour arracher des plantes et - si le temps le permet - pique-niquer dans la bonne humeur. Par un dimanche venteux, Versoix-Région a rencontré Anne Chaudieu, représentante du Collectif de la Bécassine, afin de mieux comprendre ce qui se trame autour de la plage publique du parc de la Bécassine.

Épineux problème

Il y a quelques années de cela, le propriétaire d’une résidence proche du parc de la Bécassine érigea sans autorisation une barrière métallique bloquant le passage en direction de la grève, planta des épineux proche de cette barrière pour empêcher tout acrobate de s’y agripper pour rejoindre l’autre côté et réaménagea même la plage jusqu’à n’en laisser, selon Mme Chaudieu, « que quelques galets ».

Problème : le parc et sa plage sont des espaces publics. Lors de l’acquisition d’un terrain proche de tels espaces, la servitude de passage se doit d’être garantie, c’est à dire que le propriétaire a l’obligation légale de laisser passer les badauds. L’association Rives Publiques, elle-même proche du collectif de la Bécassine, constate avec amertume que cette disposition n’est pas assez respectée dans notre pays.

En effet, si certains propriétaires ne font que demander à ce que les usagers de la plage ne polluent pas et respectent leur sommeil lors des chaudes nuits d’été, d’autres ne se gênent pas pour exclure tout passage et, en fin de compte, privatiser les rives.

Côté jardin et côté cour

Aujourd’hui, ce sont quatre habitués qui s’occupent de retirer les épineux, ce « barbelé naturel ». Parfois, des curieux les rejoignent et les aident le temps d’un dimanche. Quand on lui demande pourquoi le collectif passe à l’action aussi tôt dans l’année, Anne Chaudieu invoque le cycle des saisons et la nécessité de se débarrasser des plantes indésirables avant que la nature ne se réveille, et qu’elles ne se remettent à pousser de plus belle.

Ce type d’actions ne laisse pas les propriétaires en bord de rives indifférents. Rives Publiques est actuellement engagée dans de nombreux procès, et c’est d’ailleurs grâce aux contributions de ses membres que l’association arrive à payer pour plusieurs centaines de milliers de francs de frais judiciaires.

Selon Anne Chaudieu, la véritable indifférence semble plutôt provenir des pouvoirs publics. Mobilisée par le collectif, la commune de Versoix se serait montrée muette puis quelque peu moqueuse quant à la question du parc de la Bécassine, pourtant situé à moins de cinq minutes de la mairie.

C’est en 2012, après que le collectif avait envoyé un signal fort en sciant une partie de la barrière devant plusieurs journalistes, que l’affaire est remontée jusqu’à l’Etat de Genève. Le canton « a mis les choses en ordre » en faisant retirer la construction et en punissant ceux qui s’étaient rendus coupables de l’ériger. Toutefois, les ronces reviennent chaque année, comme les inlassables mauvaises herbes qu’elles sont.

Tout est politique, même les ronces du voisin

Derrière les arrachages, le collectif de la Bécassine et l’association Rives Publiques ont un nouveau but on ne peut plus politique : faire passer une initiative populaire fédérale sur le respect du droit de passage. Avec un tel objet, ces groupes espèrent au minimum informer l’opinion publique et lancer le débat dans tout le pays, et au mieux remporter un changement constitutionnel qui inciterait les élus à être plus véhéments, aussi bien au niveau cantonal que communal.

Pour Anne Chaudieu, cet enjeu ne serait pas l’objet d’une lutte politique opposant des militants écologistes au reste des partis, mais plutôt d’une opposition gauche contre droite, où les premiers se posent en défenseurs de l’égalité d’accès et où les seconds, «plus proches des couches de la population pouvant s’offrir une maison proche du lac», traîneraient les pieds en leur faveur.

Que les partis soient impliqués ou qu’ils ne le soient pas, cette question du droit de passage en bord de lacs est indiscutablement un sac de noeuds politico-judiciaire qui dépasse de loin la seule commune de Versoix. En février de cette année, le tribunal cantonal vaudois a refusé une demande de retrait d’un portail posé illégalement par un propriétaire riverain, alors même que la demande faite a postériori par ce même propriétaire fut refusée par la commune de Gland.

Dans un contexte où chaque acteur étatique se refile la patate chaude, seules des actions citoyennes ni légalement encouragées, ni formellement punies semblent pouvoir faire bouger les choses. Pour combien de temps encore ?

Texte et photos : Yann Rieder

auteur : Yann Rieder

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