23.02.2016 par YR
num.256 mars 2016 p.12
Commerçants de Versoix : Floréal

Commerçants de Versoix : les fleuristes tiennent bon la rampe !

Qui sont les commerçants et artisans de Versoix ? Comment vivent-ils les mutations de notre époque, qu’elles soient locales (la transformation de la ville) ou mondiales (la concurrence d’internet) ? C’est chaque mois, à travers une série d’interviews, que nous vous proposons de mieux les connaitre et d’en savoir plus sur les défis qu’ils ont à relever.

C’est depuis 1985 que les fleuristes Pascale et Nathalie Brack tiennent Floréal, une entreprise familiale situé sous l’arcade de la rampe de la gare. Elles proposent évidemment aux clients de venir acheter leurs fleurs en personne, mais proposent aussi la livraison à domicile via téléphone ou même internet, et ce depuis le tout début des années 2000. Depuis quelques temps, elles vendent aussi des produits du terroir tels que des tisanes de fleurs, de la moutarde ou même des confitures. Versoix-Région les a rencontrées par un petit matin nuageux, dans leur magasin caché derrière quelques grillages et machines de chantier.

Versoix-Région : Pourquoi avoir décidé de venir implanter votre commerce à Versoix ?

C’était un concours de circonstances. En terminant mon apprentissage, j’ai vu une offre dans le journal. À l’époque, ici, il y avait une boucherie, la Raiffeisen était en dessus, le chemin de fer ramenait beaucoup de monde, il y avait aussi un bistro… Nous étions dans un bon endroit ! C’était une rue commerçante, ça travaillait fort ! Il y avait déjà une autre fleuriste, mais elle était à l’autre bout de Versoix. Cela fait un moment qu’elle est là, aussi.

V-R : Comment décririez-vous votre clientèle, aujourd’hui ?

Moins nombreuse : avec ces travaux, depuis quatre ans, on a perdu 20 à 30% de notre chiffre d’affaires. Il n’y a plus eu de passage pendant une bonne partie des travaux, pas de parking pendant qu’ils construisaient, donc les gens restaient sur les places bleues et bloquaient ceux qui auraient voulu s’arrêter pour un des magasins de la rampe. Ce n’était pas contrôlé. On a une bonne clientèle, mais les gens qui passent par hasard, on n’en voit plus trop. Les gens qui viennent sont des gens qui ont certains moyens, même si on essaye de diversifier pour que tout le monde puisse avoir accès à des plantes de magasin sans pour autant se ruiner. Et on apprécie aussi celles et ceux qui viennent juste nous dire bonjour !

V-R : Donc, depuis les travaux, vous dites avoir perdu de la clientèle…

Oui, 20 à 30%, sans mentir ! C’est considérable.

V-R : À part les travaux, quelles causes attribuez-vous à cette perte ?

Versoix est en pleine mutation : la Coop a déménagé, désormais Fust n’est pas loin de chez nous et la Migros déménage aussi. Les gens sont un peu déboussolés, même nous ! On ne sait plus trop où aller, c’est éclaté, c’est malsain. À vrai dire, les commerçants ressentent un mal-être général à Versoix.

V-R : Votre magasin est fixe dans un contexte où « tout bouge ». Vous en profitez ?

Oui, mais d’autre part, il nous manque tous ces gens de passage qui étaient là avant et qui ne viennent plus. Les gens sont partis de Versoix [pour faire leurs achats], par exemple à Manor. Là-bas, tout est sur place. Ce sont des habitudes qui se prennent, et nous, on y perd. Il faut les faire revenir, et cela nous prendra du temps. Le simple fait que la Coop soit partie d’ici fait qu’il y a moins de mouvement au niveau de la rampe. Ca bougeait beaucoup, le tourbillon de voitures nous profitait quand les gens voulaient quelque chose de différent de la Coop. Ils venaient là. Désormais, on n’est pas persuadées qu’une fois leurs courses faites à la Migros, ils reviennent au centre pour se parquer afin de venir consommer ici.

V-R : Que pensez-vous des travaux actuellement en cours à Versoix ?

C’est une catastrophe. On comprend qu’il faut bien passer par là, mais c’est une catastrophe.

V-R : C’est donc une nécessité ?

Pas comme ça. La rampe a été refaite il y a une quinzaine d’année. Ce qui se passe ici, c’est la continuité des travaux qui ont eu lieu ailleurs. Cela ne nous parait pas indispensable de le faire. On a même dû se battre ! Devant l’arcade sous laquelle nous sommes, ils ont voulu construire un mur d’un mètre. C’est bien simple, depuis la route Suisse, on nous aurait plus vu. Pourquoi pas une barrière plutôt qu’un mur ? On se pose la question, on ne sait pas. Rien que le début du mur, quand il était entrain d’être monté, on se sentait oppressées. Ils ont fini par le casser après que l’on se soit battues avec le conseil administratif.

V-R : Quelles sont les difficultés rencontrées par des commerçants comme vous ?

Le franc fort. De l’autre côté de la frontière, on ne voit que des plaques suisses. Le pire, c’est que certaines enseignes font de la publicité à Versoix en incitant les gens à faire leurs courses en France. Ce n’est pas normal que ce soit autorisé. On se demande aussi où sont les gens : sur 15’000 habitants, il y a pourtant plein de clients potentiels. Versoix devient une cité-dortoir.

V-R : La commune de Versoix est géographiquement très éclatée. Ca n’expliquerait pas cette absence ?

Je ne suis pas persuadée de cela. D’un seul coup, tout a explosé, les habitants ne savent plus trop où aller, comment faire. Ceux qui sont à Collex ou à Richelien, par exemple, nous disent qu’ils ne vont plus à Versoix pour leurs courses. Ils préfèrent se rendre à Balexert.

V-R : Pensez-vous que les petits commerces sont encore nécessaires aujourd’hui ?

Oui ! C’est un tissu social, on sent qu’on fait partie intégrante du quartier. Le contact est différent de celui qu’on trouve en grande surface. Ici, dans le quartier, certains clients viennent juste pour nous voir, les gens apprécient cette proximité. Pour les personnes âgées, ça a beaucoup d’importance.

V-R : Que préconisez-vous pour la survie de ces commerces ?

On espère que la commune fera un effort pour aider les commerçants, qu’elle nous mettra un peu en avant. On a l’impression que l’attention est focalisée sur leur Versoix-Centre, du côté de la gare. Un exemple : la patinoire bloque directement la vue d’autres commerçants, ça ne les aide pas. Il faut que la mairie soit plus à l’écoute, que les élus se promènent dans les petites rues de Versoix ! Nous, on se bat pour que notre magasin reste ouvert. On ne se sent pas vraiment soutenues.

V-R : Comment les revaloriser, concrètement ?

Une idée serait que le marché prévu en haut de la rampe se promène un peu dans la ville. Il faudrait déplacer régulièrement certaines animations, faire en sorte que tout Versoix en profite.On aimerait une aide au niveau publicitaire avec des affiches, de petits panneaux… Il faut aussi dire aux gens que les petits commerces existent, leur dire que le parking n’est pas loin non plus. Certes, les travaux ne sont pas terminés, mais actuellement, c’est ce genre de choses qui nous manquent.

V-R : Comment envisagez-vous l’avenir pour votre activité et vous-même ?

On espère que ça ira beaucoup mieux. C’est une nécessité, ça ne peut être que mieux. Arrivées au bout de trente ans, on a fait tout ce qu’on pouvait, on s’est battues, on a mis la priorité sur le magasin, parfois aux dépens de la famille. On a même subi la récession de la fin des années quatre-vingts, et elle a duré moins longtemps !

V-R : Les effets des travaux sont plus rudes que la récession ?

La particularité, c’est qu’aujourd’hui, on a les travaux et le franc fort en même temps. Pour autant, il ne faut pas tout voir en négatif, ça ira mieux. Le parking sera accessible, les travaux seront terminés… Le printemps va revenir !

De leur jolie petite boutique, Pascale et Nathalie Brack nous ont fait part de leur situation avec une foi dans l’avenir et une combativité indéniable. Directement concernées par les grandes mutations de Versoix, leurs réponses témoignent d’un sentiment d’incertitude touchant, comme nous le verrons au fil de ces interviews, plus d’un commerçant.

Texte : Yann Rieder et Carla Da Silva
Photos : Carla Da Silva

auteur : Yann Rieder

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