11.03.2024 par MAF
num.337 avril 2024 p.16
Récessions

Les rapports entre les hommes et les femmes n’ont cessé d’évoluer au cours de l’Histoire. Actuellement, nous vivons des changements de très grande ampleur et certains d’entre eux sont bien évidemment positifs. D’autres moins. Quoi qu’il en soit, nombreux sont les ouvrages et les articles annonçant la dissolution du couple et la récession sexuelle dans le monde occidental. Ces bouleversements concernent particulièrement la tranche d’âge proche de la mienne. A travers ce billet, je ne souhaite rien condamner. Je cherche simplement à questionner ces chamboulements sociétaux et à émettre des hypothèses succinctes quant à leurs probables causes.

Une révolution technologique :
Pour commencer, j’aimerais évoquer l’importance grandissante des nouvelles technologies dans notre quotidien. Le temps passé derrière les écrans prend le pas sur celui consacré à rencontrer l’autre. En outre, l’accès simplifié aux contenus pornographiques permet aux pulsions sexuelles de s’exprimer sans effort. Nul besoin de se parfumer, de s’habiller élégamment et de faire la conversation à quelqu’un pour parvenir à ses fins. Quelque part, c’est plus simple, moins exigeant. Par ailleurs, ces plateformes comportent des milliers de vidéos montrant des hommes surperformants et des femmes aux corps parfaits. Après avoir vu cela, les jeunes ont tendance à se comparer, et, forcément, la confiance en soi s’altère. On ne se sent pas à la hauteur et l’intimité sexuelle devient alors un lieu d’angoisse plus que de joie.

Une société hyper individualiste :
Je pense aussi que le recul sans précédent des rapports sexuels et le taux de célibataires en constante augmentation s’expliquent parce que nous vivons dans une société de plus en plus narcissique. Dans mon précédent billet d’humeur à ce propos, j’évoquais la « sologamie », le mariage avec soi-même. Sur les réseaux sociaux et dans un grand nombre de livres de développement personnel, on prône précisément l’amour de soi (ce qui est très bien, mais lorsque c’est aux dépens de l’amour de l’autre, cela devient problématique). Les rendez-vous avec soi-même sont à la mode. Les jeunes femmes sont de plus en plus nombreuses à décider de faire un enfant toutes seules. En outre, il est intéressant de relever que dans son étude sur la sexualité des Français, l’Ifop (Institut français d’opinion publique) nous apprend que les jeunes continuent certes à avoir une vie sexuelle, mais que cette dernière est très individualiste. Effectivement, selon cette étude, ils seraient nombreux à regarder des vidéos pornographiques et à utiliser des sextoys. Mais... seuls !


Le repli sur soi :
L’individualisme et le repli sur soi sont deux notions très proches. Dans son essai Le Sacre des pantoufles, l’essayiste Pascal Bruckner relève la tendance actuelle à rester chez soi.
Le télétravail a de plus en plus d’adeptes, on commande ses repas plutôt que d’aller au restaurant, on regarde Netflix au lieu d’aller au cinéma et Jérémie Peltier observe très justement dans son ouvrage La Fête est finie que les jeunes dansent seuls dans leurs chambres - et postent des vidéos de leurs chorégraphies sur Tik-Tok - pendant que les boîtes de nuit se vident.
La nouvelle génération est faite d’Oblomov ! Ce personnage (protagoniste principal du roman éponyme d’Ivan Gontcharov) a décidé de refuser la passion, une émotion qu’il juge trop violente, et préfère une dimension du bonheur inférieure mais plus rassurante. Certains jeunes font de leur vie une épopée immobile où l’évitisme est roi. Mais comment cet être atomisé, enfermé chez lui et sur lui-même, peut-il dès lors rencontrer l’amour ? D’autant plus quand on sait qu’« aimer » est un verbe d’action.

Le néo-féminisme qui divise :
On ne peut aborder la thématique de la dissolution du couple et du lien amoureux, sans s’arrêter sur le clivage des sexes porté, à mon sens, par le discours d’une partie des néo-féministes. Ce dernier attaque l’amour de manière plus ou moins délibérée. Aux yeux de certaines néo-féministes extrémistes, les hommes sont tous des porcs, des prédateurs sexuels, des dominateurs. Le discours post #MeToo criminalise le masculin. Cette révolution idéologique, qui a bien évidemment permis des progrès nécessaires, a malheureusement aussi rendu les rapports entre les hommes et les femmes de plus en plus complexes. L’amour hétérosexuel serait coupable de tous les maux. Se mettre en couple avec un homme induit de la crainte, de la méfiance voire une forme de culpabilité chez certaines jeunes femmes.
Quant aux jeunes hommes, ils sont souvent terrorisés à l’idée de se faire accuser de harcèlement ou pire. Ils ne savent plus comment s’y prendre avec leurs compagnes. Ils sont déboussolés. Dès lors, se lancer dans l’amour et le désir donne moins envie. « On ose moins risquer l’aventure. » C’est en tout cas ce qu’écrit la journaliste Noémie Halioua dans son livre La Terreur jusque sous nos draps.

Une certaine presse féminine n’arrange pas les choses. On ne compte plus les articles définissant le renoncement à l’amour comme l’apothéose de la vie individuelle et personnelle. Les témoignages de jeunes femmes qui expliquent qu’elles en ont « fini avec l’amour », que désormais elles préfèrent « faire le tour du monde, de l’humanitaire, se consacrer à (leurs) projets » et en être « beaucoup plus heureuses » abondent. D’après ces dernières, l’amour serait un poids dont il faudrait se libérer. L’actrice française Ovidie par exemple, affirme qu’au nom de la libération de la femme, elle a renoncé au sexe « phallo-centré » et à l’amour avec les hommes.

Enfin, il me paraît intéressant de citer le blockbuster de 2023, le film Barbie, réalisé par la très néo-féministe Greta Gerwig et qui met en scène, durant près de deux heures, ni plus ni moins qu’une lutte de pouvoir entre hommes et femmes. Le scénario n’inclut bien sûr ni amour ni sexualité. Deux notions dont il faudrait, à en croire le scénario, se défaire pour s’émanciper.

Conclusion :
En conclusion, il est bien clair qu’il n’existe pas une explication unique à la dissolution du couple et du lien amoureux.
La récession amoureuse et sexuelle à laquelle nous assistons dans le monde occidental est multifactorielle. Il est encore possible d’évoquer Michel Houellebecq; selon lui, le trop-plein de la libération sexuelle est en train de se retourner contre nous. Dans son livre Plateforme, il écrit que « les expériences sexuelles successives et accumulées durant l’adolescence minent l’amour. Progressivement, et en fait assez vite, on devient aussi capable d’amour qu’un vieux torchon ».

Quoi qu’il en soit, je me demande si le discours actuel, consistant à scander haut et fort que célibat rime avec bonheur est bien juste. L’individu se suffit-il réellement à lui-même ? Je me permets d’en douter. Ne serait-ce que parce que mon si cher Romain Gary a écrit dans son chef-d’œuvre La Vie devant soi : « On ne peut pas vivre sans quelqu’un à aimer. »
Manon

auteur : Manon Frésard

<< retour