18.03.2020 par SL
num.297 avril 2020 p.15
DEBAT-CITOYEN À CINEVERSOIX

CinéVersoix a organisé un débat-citoyen le 26 janvier après la projection du film “La preuve scientifique de l'existence de dieu” en présence du réalisateur genevois Frédric Baillif et de quatre acteurs : Miryam Mosiman, André Beday, Alain Simonin et Michel Sermet.
Ce long-métrage est à mi-chemin entre le documentaire et la fiction, selon la méthode alternative de tourner typique de Frédric Baillif. Comme point de départ, l'aventure collective d’un groupe d’amis et activistes qui, dans la foulée de Mai 68 et de la publication l’année suivante en Suisse d’un Petit livre rouge de la défense civile, décidèrent de défendre la mise en place d’un service civil. Aujourd'hui ils se retrouvent à militer pour que la Suisse cesse d'exporter du matériel de guerre.

Le réalisateur nous explique qu'il a décidé de tourner ce film pour laisser une trace sur ce que ces anciens militants du Mouvement pour un service civil à la communauté́ (MSCC) avaient fait dans les années 70 et afin d'apporter la preuve qu'il n'est jamais trop tard pour se mobiliser ainsi que de lutter avec fougue pour une nouvelle cause et un monde plus juste.

La façon de tourner a été aussi particulière, car les acteurs-militants n'avaient pas reçu un scénario avant et donc, leurs réactions étaient réelles et authentiques, même s'ils avaient effectué beaucoup d'exercices de jeu de rôle pendant une année.

J'ai trouvé le film très intéressant du point de vu historique. En effet, il montre une page d'histoire suisse peut-être pas trop connue par les jeunes, notamment les actions menées par le MSCC bien avant celles du Groupe pour une Suisse sans armée (GSsA), pour remettre en cause les fondements de la milice obligatoire et garantir un libre choix entre service militaire et civil.

André Beday, membre du Comité des objecteurs de conscience, a rappelé que ce n'est qu'en 1996 que la loi sur le service civil est entrée en vigueur, après son acceptation par les citoyens et citoyennes suisses en mai 1992. Avant qu'il n'existe la possibilité légale de faire un service alternatif sous forme de service civil, les objecteurs étaient condamnés à des peines de prison. Lui même a écopé 4 mois et demi, car il était parmi les membres qui avaient décidé de refuser collectivement. Il n'a pas regretté son choix et ses conséquences, car grâce à cette lutte, les choses ont bougé. Lorsqu'il était détenu, il a appris à vivre avec des personnes provenant de différents milieux. Comme il habitait dans le canton de Genève, il n'a pas été trop pénalisé au niveau professionnel après sa détention. Par contre, ceux qui habitaient dans le canton de Vaud ou Zurich n'ont pas eu la même chance.

Hommage à Chaïm Nissim
Un spectateur a rappelé l'action de Chaïm Nissim, activiste écologique versoisien, qui avait tiré en 1982 des roquettes sur le surgénérateur nucléaire français Superphénix de Creys-Malville alors en construction. Il avait toujours considéré cet attentat comme non-violent, car il avait pris toutes les précautions pour ne blesser aucun employé de la centrale. De nombreux spectateurs, soixante ans et plus, ont défendu ce recours à des actions violentes de portée symbolique, tandis que d'autres se posaient la question de leur cohérence avec l'idéal pacifique que ces opérations prétendent défendre.

Où en est le service civil en Suisse aujourd'hui ?
Dès son introduction en 1996, le service civil a remporté un énorme succès parmi les jeunes, malgré tous les mesures et obstacles qui ont été ont mis en place, et sont actuellement de nouveau en discussion, pour le rendre plus difficile et moins attractif. Petit rappel historique.

Dans un premier temps, les candidats devaient déposer une demande écrite dans laquelle ils exposaient en détail leur conflit de conscience avant de passer devant une commission civile. En 2009, la preuve par l’acte est introduite : le conflit de conscience est démontré par le fait qu'on opte pour une alternative qui est 1,5 fois plus long que le service militaire.

En 2011, l’ordonnance sur le service civil est révisée dans l’optique d'en durcir les conditions d’accès (un entretien avec les candidats est réintroduit) et ainsi réduire le nombre des requérants. Malgré ces mesures et surtout le fait que la durée du service civil est d’une fois et demie celle du service militaire, le nombre d’admissions est passé de 96 en 1996 à 6'205 en 2018. 1’668’248 jours de service ont été accomplis en 2018.

A cause de cette popularité, les attaques contre le service civil se sont multipliées ces derniers années. En septembre 2019, le Conseil des Etats a accepté sept des huit mesures proposées par le Conseil Fédéral pour en durcir les conditions d'accès et d'exécution (dans le but de sécuriser l'effectif de l'armée). Il faut donc attendre la votation au Conseil National pour voir la suite de cette évidente discrimination.

Imposer une durée du service civile plus longue que celle du militaire ne respecte pas le principe de l'égalité face aux obligations militaires. Cela violerait ainsi l’égalité de droit consacrée par l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques adopté par la Suisse le 18 juin 1992. Justement pour cette raison, la commission des droits de l’Homme de l’ONU a recommandé en 2003 à la Russie de réduire la durée du service civil à celle du militaire. Par conséquent, en Suisse aussi, il serait envisageable que la durée, ainsi que l'accès et l'exécution du service civil, soient harmonisées avec ceux de l’armée.

De son côté l'armée devrait plutôt se remettre en question, essayer de comprendre pourquoi de plus en plus de jeunes ne voient aucun sens dans l’accomplissement du service militaire. Il faudrait proposer des formations dans des domaines d'actualité, tels que la cybercriminalité, qui puissent être plus utiles ou reconnus dans la vie civile. D'autre part, une discussion objective et ouverte à propos du service civil devrait être entamée, car cet engagement est socialement et économiquement utile ainsi que très valorisant pour ceux qui l'accomplissent.

Les civilistes effectuent un travail qui, pour des raisons financières, ne serait pas réalisé et dans des domaines qui manquent souvent d'effectifs, notamment la santé, le social et la protection de l'environnement. C'est pour cette raison que, à mon avis, le service civil devrait être valorisé et ses affectations augmentées.

En outre, grâce au service civil, les jeunes peuvent s'engager dans des secteurs ou pour des causes auxquelles ils croient, acquérir d’importantes connaissances sociales et organisationnelles, qui leurs seront nécessaires, aussi bien dans leur vie quotidienne que dans le monde du travail. Cet engagement est une forme de soutien à la collectivité qui a de plus en plus du sens dans la société actuelle. C'est la raison pour laquelle il doit être protégé et son développement encouragé.

Exportation du matériel de guerre
Le deuxième sujet abordé par le film est l'exportation du matériel de guerre qui remet en cause le principe de neutralité de la Suisse et sa crédibilité dans les activités de paix.

En 2018, les entreprises suisses ont exporté pour 509,9 millions de francs de matériel de guerre vers 64 pays sur la base d'autorisations spéciales du Secrétariat d’État à l’économie (SECO), ce qui correspond à une augmentation de 14 % par rapport à l’année précédente et à une part de 0,17 % dans les exportations totales de marchandises de l’économie suisse. Sur les neuf premiers mois de 2019, ce commerce a atteint 496 millions de francs, soit presque 200 millions de plus qu'à la même période en 2018.

Les cinq plus grands pays importateurs de matériel de guerre suisse sont des pays occidentaux, notamment l’Allemagne, avec des livraisons d’une valeur de 118,0 millions de francs, suivie du Danemark (73,5 millions), des États-Unis (51,9 millions), de la Roumanie (22,5 millions) et de l’Italie (19,6 millions).

Réparties par continent, 75,6 % des exportations ont pris le chemin de l’Europe, 12,5 % celui de l'Amérique, 11,6 % celui de l’Asie, 0,2 % celui de l’Afrique et 0,1 % celui de l’Australie.

Le GSsA dénonce et déplore que, dans la liste des pays concernés, il y a des clients provenant d'Etats en guerre, notamment le Pakistan, ou épinglés pour violation des droits humains.

 

auteur : Sabrina Lanzavecchia

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