11.10.2019 par FK
num.293 novembre 2019 p.20
Il était une fois Versoix et sa droguerie….

 Il était une fois Versoix et sa droguerie….
C’est à la Résidence Bon-Séjour où elle habite que Bluette Rose Corbat m’accueille avec un large sourire, du haut de ses tout juste 101 ans. Toujours aussi vive, pétillante et élégante. Seules quelques rides supplémentaires et des jambes un peu plus lourdes que par le passé, mais que ses longues balades en forêt ont su préserver !
Née en 1918 à Saint-Imier, elle a, comme ses parents, ses 3 frères et ses 2 sœurs, travaillé dans l’horlogerie jusqu’à ce qu’elle se marie, à 24 ans, et qu’elle se lance dans la droguerie aux côtés de son époux.
C’est en 1945 qu’ils arrivent tous les deux à Versoix et reprennent, d’abord comme gérants, puis comme propriétaires, la droguerie du village, ouverte en 1943, à Versoix-Bourg, le long de la route de Suisse, proche du garage et de la boucherie chevaline. Elle apprend le métier « sur le tas » et seconde activement son mari. Les clients sont nombreux et apprécient cette enseigne où l’on bénéficie de conseils éclairés, notamment en herboristerie et en mycologie, où l’on trouve des produits phytothérapeutiques faits maison et même, dans l’arrière-boutique, un alambic….
A cette époque, il n’y avait que 2000 habitants à Versoix (600 ménages) et tout le monde se connaissait. La vie était beaucoup plus « relax » et les gens trouvaient toutes les manières de se distraire entre eux. En fin de semaine, la coutume était de faire le tour des cafés-restaurants, d’y boire un verre bien sûr, mais surtout d’y danser et d’y refaire le monde jusque tard dans la nuit. Les liens étaient là, avec une solidarité certaine.
La Genève Internationale a progressivement amené pas mal de constructions sur le territoire, dont, dans les années 60, le Grand-Montfleury. Le village a commencé à changer, la population a grandi et, avec elle, un certain anonymat. La commune a peu à peu perdu son côté « patricien ». Et la création de l’autoroute a radicalement changé le visage de Versoix.
Au fil du temps, plusieurs cafés ont fermé dont le Buffet de la gare, le Café du chemin de fer ou encore, plus tard, le Bateau Ivre. D’autres se sont ouverts, avec une autre ambiance. A la place de la poste actuelle – qui se trouvait alors en face de la quincaillerie- il y avait l’école du village, avec une magnifique vue sur le lac. Quand il faisait trop froid en hiver, les enfants étaient dispensés de cours parce que les salles y étaient glaciales.
A Versoix-Ville, il y avait quelques usines dont une fabrique de savons et une fonderie.
A Versoix-Bourg, il y avait beaucoup de petits commerces et d’artisans, la chocolaterie Favarger, la Papeterie et la boulangerie Cartier qui se trouvait alors sur la place de l’Industrie, dans un immeuble aujourd’hui démoli.
A Port-Choiseul, il y avait de grandes propriétés avec des maisons de maître où Bluette Rose Corbat allait très souvent livrer des produits. Certaines fois, on lui offrait un café, d’autres un whisky…qu’il était mal vu de refuser ! Le pensionnat Bon-Séjour existait déjà, mais à la place de la Résidence, il y avait un grand champ et un maraîcher qui faisait de la vente sur place.
Bluette Rose Corbat n’est pas de nature pessimiste ou nostalgique, mais elle s’inquiète quand même de cette forte densification de la commune, qui se fait au détriment d’une certaine qualité de vie et de l’environnement. D’ailleurs, elle pense qu’il faut vraiment faire quelque chose pour le climat. On est allé trop loin, on consomme trop, on gaspille beaucoup.
Aujourd’hui, Bluette Rose Corbat, qui a conduit sa voiture jusqu’à l’âge de 95 ans pour rendre visite à ses enfants en Suisse allemande, ne regrette rien de sa vie. Sauf, peut-être que son frère, horloger rhabilleur, ne soit finalement pas allé faire de l’exportation de montres en Australie. Parce qu’il était prévu qu’elle parte avec lui. Elle aurait aimé se lancer dans cette aventure, découvrir une autre culture…Le destin l’a amenée à Versoix où, aujourd’hui, elle se sent bien. Bon anniversaire encore Madame Corbat !

auteur : Francine Koch

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