16.06.2016 par YR
num.260 juillet-août 2016 p.11
Commerçants de Versoix : la quincaillerie au coin de la gare

Qui sont les commerçants et artisans de Versoix ? Comment vivent-ils les mutations de notre époque ? Ce mois-ci, Versoix Région vous propose un entretien avec Vincent Bradet, l’un des administrateurs de la Quincaillerie de Versoix (SA). L’homme est bavard, passionné mais aussi inquiet de la situation économique, aussi bien sur le plan local qu’à l’échelle globale.

  • Versoix Région : Depuis quand tenez-vous ce commerce ?
  • Vincent Bradet : L’entreprise a été ouverte en 1969 par mon père, André. Ca fait maintenant 47 ans qu’on existe, et c’est toujours une entreprise familiale. Pour ma part, j’ai commencé à travailler ici dans le milieu des années 80. La quincaillerie est devenue une SA en 2001. Nous, ses enfants, gérons désormais la quincaillerie en tant qu’administrateurs, et cela depuis début 2010.
  • V-R : Habitez-vous à Versoix vous-même ?
  • V.B. : Oui ! Toutefois, avant d’avoir acheté le bâtiment actuel, j’habitais dans le canton de Vaud.
  • V-R : Pourquoi avoir établi cette quincaillerie à Versoix ? Y’en avait-il une autre, à l’époque de sa création ?
  • V.B. : Non, mon père était versoisien d’origine, né en 1938, et a commencé par travailler dans des quincailleries à Genève. Quand il a obtenu son brevet, il a fondé la quincaillerie. Il l’a établie à Versoix justement parce qu’il n’y en avait pas, se disant que ça pouvait être un bon créneau.
  • V-R : Le fait d’être proche de la gare, ça s’est rapidement avéré avantageux ?
  • V.B. : Au tout début, on travaillait différemment. Ce qui était bien avec la gare, c’est que la marchandise arrivait par le CFF Cargo. On venait tout chercher au dépôt CFF, avec une camionnette. Aujourd’hui, on se fait livrer par camions. C’est gratuit, tant que le montant de nos commandes dépasse une certaine somme.
  • V-R : Et au niveau de la clientèle ?
  • V.B. : Versoix, on peut la qualifier de ville-dortoir. On a l’impression qu’il n’y a pas vraiment de volonté communale a y créer des emplois, à dépasser cette situation. L’artisanat, il y en a eu, dans le temps, mais ça a beaucoup baissé en nombre. Cela fait dix ans qu’on parle d’une zone artisanale. J’ai entendu que les travaux devraient commencer d’ici la fin de l’année.

    On a quelques clients qui, en revenant du travail, passent par chez nous. On a plus de clients vers 17h et 17h30, qui reviennent probablement de Genève et passent faire des achats.

    Dans le temps, on avait plus de clients professionnels : artisans, maîtres d’Etat, la papeterie, Favarger, une fonderie, une fabrique de savon. C’était dans les années 90, et on en a beaucoup perdus.
  • V-R : Du coup, comment décrire votre clientèle d’aujourd’hui ?
  • V.B. : On a le même nombre de clients particuliers que de clients dans l’industrie et l’artisanat. Au global, on a moins de clients qu’avant. On a donc dû se restructurer en baissant les charges, les coûts, réduire de moitié le nombre d’employés. 

    Si on analyse un peu, depuis 10 à 15 ans, le nombre de crises (boursières, subprimes) provoquent des transformations très rapides auxquelles il faut s’adapter. Pour les jeunes, même en sortant de l’université, trouver du travail est d’une difficulté incroyable. Il faut être compétitif dès la sortie de l’école, c’est triste. La situation est devenue difficile pour tout le monde.
  • V-R : À quoi attribuez-vous la baisse de votre nombre de clients ?
  • V.B. : Beaucoup plus de gens achètent sur internet. La baisse de l’euro a également fait baisser les prix, ce qui se ressent sur notre chiffre d’affaire. Il y a moins d’entreprises qu’alors, donc moins de clients potentiels. De plus, un nombre grandissant de sociétés ont leurs propres centrales d’achats. A part de la vente au détail, on ne leur vend plus autant.

    Pour Versoix, le chantier du secteur du Boléro a duré quatre ans. Du coup, plus de zones de parking dans le secteur, hormis le parking souterrain ! La circulation était difficile, mes clients s’en plaignaient régulièrement. Heureusement, depuis que les travaux sont terminés, on a un peu plus de clients.
  • V-R : La disparition du petit commerce et de l’artisanat à Versoix a-t-elle une cause claire ?
  • V.B. : Les mentalités d’achat ont changé. Les grandes surfaces font de plus en plus de choses. Les courses sont reléguées au week-end ou au soir, dans des supermarchés, et les gens y règlent tous leurs achats pour gagner du temps.

    Notre avenir est de faire des spécialités qu’on ne trouve pas dans le grand commerce, ainsi que du détail. Régater contre eux sur les prix, c’est impossible. Pourtant, il faut des petits acteurs économiques sur le marché. L’idée que seuls quelques grosses entités dictent la pluie et le beau temps dans le commerce est effarante. Economiquement, il faut que ça change : autour de 1600 personnes sur la planète détiennent tout, ou presque. Le système est faussé.
  • V-R : Vous vous sentez encouragés pour la commune ?
  • V.B. : Non. Et elle passe systématiquement commande en dehors de la commune pour payer moins cher. Le fait qu’on soit un acteur de la vie commerçante à Versoix et qu’on y paye nos impôts ne rentre pas en ligne de compte. C’est triste qu’on trouve 1,8 millions de francs pour racheter les locaux de l’épicerie Buffat, mais qu’on aide pas plus que ça les petits commerçants et l’artisanat.
  • V-R : Et les réunions organisées à Versoix pour la promotion économique ?
  • V.B. : Ca nous a aidé à trouver deux petits clients. C’est bénéfique, mais c’est une goutte d’eau dans la mare. Il faut être franc : la plupart des gens que j’y ai rencontrés, ce sont des clients que j’avais déjà. S’il y avait plus de commerces, il y aurait plus de dynamique, plus de rencontres. Mais là, la faute n’est pas sur la ville de Versoix.
  • V-R : Quant à l’avenir, comment envisagez-vous les prochaines années ?
  • V.B. : Nous, on a repris de nos parents. Nos enfants ne semblent pas du tout destinés à suivre cette voie. Tout va tellement vite que c’est difficile à dire. Si notre nombre de clients se maintient tel quel, ça ira. Si la situation se détériore, on devra probablement réduire encore le personnel. En tout cas, pour le moment, on fait tout pour tenir.

Nos entretiens avec les commerçants et artisans versoisiens se suivent, et une idée revient systématiquement : même s’ils ne sont pas la source de leurs maux, l’on perçoit une ferme attente pour plus d’action venant de nos pouvoirs publics. À eux de se positionner !


Texte : Yann Rieder et Carla da Silva
Photo : Carla da Silva

auteur : Yann Rieder

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