10.11.2013 par LR
num.234 décembre 2013 p.14
Conte de Noël - Le pâtre de la montagne

Il paraissait bien vieux le berger de là-haut sur le grand alpage des Montagnes Bleues. Avec son visage tout ridé, ses cheveux blancs et sa longue barbe argentée, il semblait assez sauvage. Mais ses yeux doux d’un bleu intense reflétaient beaucoup de douceur et son regard était accueillant. Toute sa vie se déroulait au milieu de ses moutons, des fleurs environnantes, des forêts de sapins, de l’herbe tendre qui dansait dans le vent, des marmottes et des bouquetins qui s’adressaient des clins d’œil entre les saisons, et le petit ruisseau à l’onde scintillante, prolongement d’une cascade, passant près de son chalet. L’air pur, le ciel étoilé, les nuits claires, le silence, à part le bêlement de ses moutons et du chien Zouki qui veillait sur eux, fidèle gardien du maître et de ses bêtes, tout était bonheur et réconfort, charme de la nature au fil des saisons !
Rares sont les personnes qui allaient le visiter, surtout pendant la période hivernale. Durant les autres mois de l’année, les promeneurs découvraient son troupeau, son chalet au toit de chaume, les fenêtres garnies de rideaux aux carrés blancs et rouges, juste assez grandes pour laisser passer un rayon de soleil. Large était la bâtisse pour abriter deux étables, une grange où s’entassaient les meules de foin, une pièce où recevoir les éventuels acheteurs de ces tommes, de son sirop aux herbes, son lait de brebis ou quelques surprises du chef. Ne serait-ce que pour boire un thé, un café, un jus des fruits de son jardin ou une tisane aux fleurs de la montagne ! Plus rares encore étaient les fois où il descendait au village. C’était si loin ! Quelques vieilles connaissances s’intéressaient encore à lui et lui apportaient, en cas de nécessité, les produits dont il avait besoin.
Sa solitude ne le gênait pas. Savait-il même s’il avait une famille ou de la parenté ? Peut-être un fils parti au loin à l’étranger, dont il n’avait plus de nouvelles depuis longtemps ! Il se débrouillait tout seul, cuisait son pain, faisait sa lessive et se chauffait au feu de sa cheminée.
Vie sobre, austère, mais heureuse malgré tout. Ses ressources venaient des produits vendus, de la tonte des moutons, et de tout ce qu’il pouvait récolter dans son jardin, cueillir dans la forêt ou dans les prés. Il reconnaissait les plantes médicinales et sa santé robuste le préservait de bien des maladies. Il aimait cet environnement montagneux, la paix qu’on y trouve, l’évolution de la nature qui se découvre à chaque saison. Même les oiseaux lui étaient familiers et de temps à autre, un écureuil venait lui tenir compagnie. Des promenades il en faisait, sans jamais perdre de vue son troupeau et il connaissait chacune de ses bêtes quitte à leur donner un nom.
Brebis, moutons, agneaux obéissaient à la voix du pâtre et les récalcitrants se pliaient aux ordres du chien. Le travail et l’animation ne manquaient pas au cours des journées et notre vieil homme ne s’ennuyait jamais. Levé à l’aube, couché aux dernières lueurs du soleil, il n’avait pas besoin d’horloge. L’intuition lui suffisait.
Ainsi passèrent les années. Seul le calendrier lui signifiait la marche du temps. Décembre arrivait avec son lot de neige abondante, des jours sombres, des nuits sans lune, du froid, du brouillard, des chemins disparus et du silence encore plus pesant. Il savait que le 25 décembre était la fête de la Nativité, mais y pensait-il souvent durant cette période, à ce que cela représentait pour les villageois, pour les chrétiens, pour le monde entier ? Encore se souvenait-il de quelques prières de son enfance ! Le reste lui importait peu, et il y avait longtemps qu’il n’était plus redescendu au village pour l’occasion.
Mais cette année-là, trois brebis allaient mettre bas. Quand ? Normalement, d’après ses calculs, ce devrait être autour de Noël. Notre pâtre les surveillant de près et chaque jour, il s’en inquiétait un peu plus, quitte à ne pas dormir. Chaque naissance était un événement et une joie particulière pour lui. Laquelle de ces trois, la blanche, la noire ou la brune allait donner un petit agneau ? La noire semblait la plus arrondie, plus proche du terme que les autres. Pour en être sûr, il l’a pris chez lui, lui réservant un coin bien douillet, avec de la paille, du foin et une grande écuelle d’eau. Quoi qu’il arrive, tout était prêt, car le froid était particulièrement mordant ces semaines de décembre.
Zouki était sage comme une image et partageait l’appréhension de son maître. De toute façon, il faudra bien l’aider notre montagnard, car il n’a plus tant la vigueur de son jeune âge ! Oublié tout cela, même s’il se sent encore solide. Comme chaque année, il mettait sur la cheminée une branche de sapin avec une bougie et une boule brillante pour marquer la fête de Noël, histoire d’être en pensée avec ceux du village. La brebis était fatiguée, souvent couchée. Les jours s’égrenaient plus ou moins lentement et notre pâtre se faisait quand même du souci, car de voir sa pauvre bête tout le temps couchée  l’inquiétait beaucoup. 20 – 21 – 22 – 23 – 24 décembre, toujours rien ! Lui aussi était fatigué de veiller sur la brebis. Cette nuit du 24, il s’endormit d’un profond sommeil. Il rêva d’une belle crèche où l’Enfant-Dieu lui souriait. Marie – Joseph, l’âne, le bœuf, les anges, des bergers apportant leur lot de victuailles, de la musique, des chants, une atmosphère de paix, de lumière, du bonheur, et des oiseaux de toutes les couleurs. 

Il était près de minuit, quand Zouki le chien se mit à aboyer et à réveiller son maître. Quelque chose allait se passer ! Lentement le pâtre s’éveilla – il était si bien dans son sommeil – et s’en alla vers la brebis. C’était le moment ! La bête haletante donna naissance à son petit rejeton : un joli agnelet, bien dodu, maintenant couché près de sa mère sur la paille fraîche. Son pelage noir tout lisse brillait, et sur son front, oh ! surprise, une belle étoile blanche et sur son flanc un cœur rose. Vraiment ce nouveau-né sortait de l’ordinaire ! Dans la pièce, une lumière chaude et intense illuminait les moindres recoins. Des étoiles s’agrippaient sur chaque mur, une douce musique, harmonieuse, envahissait tout le chalet, des petites bougies diffusaient autour de leur flamme un agréable parfum. Autour de la brebis des étoiles de Noël égayaient l’endroit de leur couleur rouge. Dehors, la nuit était claire. La lune aussi ronde que possible brillait de tout son éclat, irisait la nature d’un fin voile jaune pastel qui ajoutait encore plus de prière à cette plénitude. Il faisait bon respirer, sentir tout son être vibrer à cette nature triomphante. Même les Montagnes Bleues prenaient une couleur exceptionnelle, attirant notre regard vers le ciel. Là-haut une étoile géante dardait ses feux sur ce paysage fascinant lançant un message à tous : PAIX – JOIE - AMOUR.
Le pâtre n’en revenait pas. Le chien était silencieux et s’était couché lui aussi près du petit agneau pour le réchauffer. Image touchante qui émut notre montagnard. Il était tellement ébahi et bouleversé que le seul mot qui lui vint à la bouche fut « Merci mon Dieu ». La brebis bêla de contentement et l’agnelet de ses yeux doux brillait de tout l’amour qu’il devait au pâtre. Signe du Ciel ! L’étoile blanche, marque indélébile d’une nuit de Noël pas comme les autres ! Dans l’étable, les bêtes dormaient. La brebis brune et la blanche se tenaient l’une contre l’autre, réservant pour plus tard les autres naissances. Sait-on jamais ! Les festivités de la Nativité durent quelques jours ! …
Ainsi dans sa joie communicative, le pâtre se mit à danser, à chanter, à crier son bonheur à qui voulait l’entendre. … Et dans le village on l’écouta. Les cloches se mirent à carillonner et résonnèrent jusque là-haut sur les Montagnes Bleues et dans le cœur du pâtre, plus heureux que jamais !

Joyeux Noël à tous ! Bonne et heureuse nouvelle année !

auteur : Lucette Robyr

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