07.04.2020 par LMV
num.298 mai 2020 p.12
Soldat au temps du coronavirus: témoignage du front

À l’image du reste du monde, la Suisse est en guerre contre le coronavirus. Un ennemi invisible mais puissant qui a entrainé la plus grande mobilisation militaire depuis la Deuxième Guerre Mondiale. Témoignage d’un soldat d’hôpital, mobilisé dans un service médicale romand soignant des patients atteints du COVID-19.

« 48h. C’est le temps qui m’a été donné pour préparer mes affaires et me rendre au rendez-vous. La convocation, je l’ai reçue par SMS, claire net et précise. Une heure, un lieu, et un « OUI » à répondre comme accusé de réception. Quand j’ai dit à mon entourage que nous étions mobilisés jusqu’au 30 juin, c’est vraiment là que beaucoup ont pris conscience de la gravité de la situation ». Thomas* s’y attendait. Il me raconte que l’armée l’avait déjà contacté, qu’il avait déjà reçu plusieurs sms tests, pour être sûrs que le moment venu il n’y aurait rien qui empêcherait sa mobilisation. Surtout que Thomas, étudiant en biologie, a été formé comme soldat d’hôpital pendant son école de recrues. Il s’y attendait et d’un coup le voilà projeté sur la ligne de front de cette bataille particulière.

« On est formé comme auxiliaire de santé Croix-Rouge, c’est une formation qui existe aussi pour les civils et qui est dispensée directement par la Croix-Rouge. Pour la valider, tu es sensé faire 2 semaines de stage, mais nous on a fait 1 mois, en EMS. Pour l’instant, ça ressemble beaucoup à ce que l’on a fait en stage. On s’occupe des patients pour leurs besoins en dehors des soins proprement dit. On s’assure qu’ils soient confortablement installés, on les emmène aux toilettes si nécessaire et on vérifie leur « sat » (taux de saturation en oxygène dans le sang). On décharge les médecins et les infirmières des tâches qui doivent être faites dans tous les cas, mais qui n’ont pas vraiment de lien avec la maladie. » La vrai différence, ce sont les mesures de protection indispensables. On demande aux soldats de porter une « sur-blouse » de protection et un masque chirurgical. On leur explique que le virus se transmet par les muqueuses; ils ne doivent pas se toucher les yeux, le nez ou la bouche. « On fait très attention, mais comme pour les infirmières, les protections ne sont pas efficaces à 100%. Surtout que tout le monde a des réflexes non contrôlés; l’autre jour j’ai vu un médecin toucher l’extérieur de son masque avant de se frotter les yeux tout de suite derrière. Ça m’a choqué ,mais ça arrive, personne n’est une machine. On prend un risque c’est vrai, mais bon au final, il faut bien que des gens le prennent. »

Et puis comme me raconte Thomas, ça a aussi du bon cette mobilisation. «Je pense que nous sommes les seules personnes en Suisse qui ont encore une vie sociale. Le confinement ? Je sais pas ce que c’est. Il y a toujours des amis pour se boire une bière, on est ensemble, on se marre bien. C’est impressionnant le nombre de colis qui arrivent chaque jour. On manque de rien et puis l’armée fait beaucoup plus attention à notre bien-être qu’en école de recrues par exemple. La famille manque, c’est sûr, surtout qu’on sait pas vraiment quand on les reverra. Des rumeurs courent sur des jours de congés, mais bon personne a vraiment plus d’informations. Pour l’instant, je suis surtout content de me rendre utile. C’est vrai qu’avant, on en entendait beaucoup parler, de ce corona, mais on voyait pas vraiment où il se cachait. Maintenant, je travaille toute la journée avec des gens infectés, mais au moins je sais où il est ce virus. Il est en face de moi. C’est un sentiment plutôt bizarre mais je préfère. Ça fait étrangement du bien. »

À ce jour (7 avril 2020), les hôpitaux ne peuvent pas confirmer que le pic de la maladie ait été atteint. Selon Thomas, dans son service tout du moins, le personnel médical n’est pas débordé. Si une telle situation venait à survenir, il serait vraisemblablement transféré en soins intensifs où les conditions de travail seraient de toute évidence différentes. «On nous a vraiment précisé dès le début que nous pouvons refuser une responsabilité qui nous paraît trop grande. Ils vont pas nous donner la responsabilité de la vie d’un patient. On peut dire que l’on n’est pas prêt à faire quelque chose et cette décision sera respectée. Bon à part le risque de contamination… Là, personne peut vraiment y faire quelque chose… Il faut suivre les consignes.»

Comme pour Thomas, l’armée a annoncé qu’elle mobiliserait jusqu’à 8000 militaires pour assister les cantons dans leur lutte contre le coronavirus. Que ce soit dans les hôpitaux ou pour assurer le transport de marchandises, l’armée suisse a un rôle important dans la stratégie du Conseil fédéral pour endiguer la pandémie. A l’heure du bilan, cette aide précieuse sera de toute évidence un argument de poids pour les militants pro-armée. Mais ça, ce sera pour plus tard. La bataille n’est pas finie !

*Thomas est un nom d’emprunt.

auteur : Laura Morales

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