27.11.2019 par ALBB
num.293 novembre 2019 p.17
Larguer les amarres pour vaincre le cancer

Voir la vie en rose, malgré un cancer, c'est le but de "r'Ose Transat" menée par l'association "Heureuse qui comme..." Explications à propos d'une croisière pas comme les autres, d'un rêve né au bord du Léman, qui se réalisera sur le dos de l'océan menant à la Martinique.

Apprendre que l'on a une tumeur, c'est comme un coup de tonnerre dans un ciel bleu. Le cancer est une maladie qui fait peur. Pour beaucoup, elle rime avec la mort. Cette nouvelle, une femme sur huit est susceptible de l'entendre, puisqu'il s'agit de la statistique officielle du cancer du sein en Suisse. On ne parle même pas de toutes les autres formes possibles de cette maladie qui sont détectées chez des patients dans notre pays.

Tout à coup, on se rend compte que l'on est vulnérable. Les traitements sont invasifs avec des conséquences plus ou moins définitives selon le type de la tumeur : chirurgie, chimiothérapie, rayons, hormonothérapie sont au menu. Bien évidemment, les effets secondaires sont lourds : cicatrices, brûlures, perte de cheveux, mais aussi de sa féminité, sa libido, du contrôle de sa vie ou de sa confiance en soi. On a surtout l'impression d'être transformé en objet pour le corps médical, de n'être plus personne. Selon l'attitude de certains soignants, cela peut entraîner un traumatisme profond.

Il y a aussi ce sentiment de culpabilité qui hante. Mais pourquoi donc cela m'arrive-t-il ? Qu'ai-je fait de faux pour le provoquer ? Difficile à oublier, quand bien même nul n'est responsable d'une telle calamité. La faute à pas de chance, un hasard de malédiction. Peut-être la pollution ? Un gène ? Il faut absolument chasser ces idées inexactes qui pourrissent la vie déjà compliquée dans de telles périodes. On est victime d'un accident de santé. Point !

Les proches sont aussi mis à rude épreuve : des certitudes s'effondrent, le courage disparaît. Le quotidien est bousculé. Comment entourer un patient, lui rendre sa confiance, ne pas le blesser ou l'infantiliser ? Comment lui laisser prendre des décisions qui le concernent, l'aimer tout en laissant libre ? Comment l'accompagner dans ce voyage où son corps semble se détruire, les nuits se raccourcissent, les cauchemars et douleurs se multiplient ? Savoir reconnaître et apprécier la personne au delà du changement de son apparence. Maîtriser ses propres craintes... Pas une sinécure, un véritable tremblement de terre !

Pourtant, toujours en Suisse, le cancer du sein est de mieux en mieux soigné. Même si 1'400 femmes en décèdent encore chaque année, 88% des patientes en guérissent après 5 ans et ce taux devrait bientôt avoisiner les 90%. 95 à 97% sont en rémission totale après 10 ans quand la maladie est encore à un stade localisé au moment de sa découverte. C'est dire que la médecine, devant cette épidémie, a su évoluer et mieux prendre en charge les personnes touchées, dont d'ailleurs aussi des hommes, même si c'est bien plus rare.

Une fois les traitements lourds terminés, il faut reprendre le cours de sa vie passablement chamboulée et retrouver la confiance en soi. Il est de notoriété publique que le sport contribue à augmenter la survie globale et à diminuer les rechutes. En effet, une activité physique régulière diminue le taux d’oestrogène et d’insuline, ainsi que les protéines de l’inflammation et des facteurs de croissance. Bouger pour survivre, malgré sa faiblesse et les douleurs récurrentes !

Elisabeth Thorens-Gaud a été touchée par ce fléau en 2016. Elle s'en est sortie, mais a été bien bousculée par sa maladie, ce d'autant plus qu'elle a perdu quatre amis l'année de sa guérison. Il fallait qu'elle se lance dans un projet constructif pour mordre sa vie à pleines dents puisqu'elle en avait (re)découvert sa valeur. Comme elle aime la voile, en septembre 2018, elle a lancé le défi de traverser l'Atlantique avec d'autres femmes qui avaient survécu à la tempête du cancer du sein. Le hasard faisant bien les choses, lors d'un contrôle, elle a proposé à sa médecin, la Dre Carine Clément Wiig, gynécologue, de monter à bord. Celle-ci a immédiatement accepté d'accompagner l'équipage. Skipper, sponsors, médecins, l'engouement autour de ce projet a été grand et spontané. Le Versoisien Alan Roura est le parrain de cette aventure qu'il trouve folle et personnelle.

Depuis le printemps, les neuf équipières s'entraînent régulièrement pour pouvoir mener à bon port le Lagoon 42, ce magnifique catamaran sur lequel elles vont embarquer. L'aspect sportif est important, mais l'esprit d'équipe, la complicité, le partage de cet instinct de survie le sont plus encore. Tous ces éléments permettront aux navigatrices de tenir le cap et d'aborder leur vie avec une confiance retrouvée lors de leur retour en Suisse.

Après la traversée du désert qu'est la maladie, celle de l'océan pour se reconstruire afin de retrouver l'énergie de la vie.

En novembre, Elisabeth Thorens-Gaud, initiatrice du projet, Muriel Andrey Favre, skipper, Nicole Strub, seconde, Stéphane Couty, Caroline Ackermann, Francesca Argiroffo, Nadège Schriber, équipières, ainsi que Carine Clément Wiig, médecin à bord, embarqueront pour une croisière sous les alizés qui durera une vingtaine de jours entre les Canaries et la Martinique, soit environ 3'000 miles. Notons que Veronika Bertin est prête à remplacer une équipière si nécessaire.

Notre journal évoquera cette épopée dans les prochains numéros. Une belle aventure à partager pour encourager tous les malades à reprendre le contrôle de leur vie avec leurs envies, forces et sourires. D'ores et déjà bon vent pour cette transat !

 

Photo : Wictoria Bosc

auteur : Anne Lise Berger-Bapst

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