31.08.2019 par ALBB
num.290 juillet-août 2019 p.13
Divonne : Voyage en eaux troubles

Beaucoup prédisent que les prochaines guerres seront causées par le besoin de l'eau. Dans notre région, cela paraît bien loin... Moyen-Orient, Afrique ou Amérique du Sud, peut-être ? Et pourtant ! Même le château d'eau qu'est notre pays pourrait être concerné...

L'eau, source de l'histoire de notre région, est au centre de convoitises. La rivière qui coule tranquillement et marque la frontière entre la Suisse et la France se prénomme Divonne chez nos voisins et Versoix ici. Depuis des millénaires, elle permet la vie. Elle est un trait d'union entre le Pays de Gex, Vaud et Genève, quand bien même elle marque la frontière sur une bonne partie de son cours.

Divonne signifierait "Eau divine" en gaulois. Les hommes ont profité de sa force pour développer leurs activités. Les moulins se suivaient, sans se ressembler, mais étaient complémentaires : Gilly, Sauverny, La Bâtie, Richelien et tous les usiniers dans le Bourg Versoix. Sans eux, point de moulin, papeterie, chocolaterie ou autres forges qui ont permis à nos ancêtres de développer l'industrie rendant ainsi la région prospère jusqu'à nos jours.

Défis à relever
Au XIXe siècle, le défi était d'utiliser au mieux ses forces pour améliorer la vie de tous. Aussi, entre 1860 et 1865, la population de la région s'était unie pour déplacer le cours d'eau de quelques mètres afin de permettre aux moulins de Sauverny d'être plus efficients. Ce faisant, la frontière entre la Suisse et la France a été déplacée de quelques mètres sans que cela ne pose de problème, puisque tous en bénéficiaient...

Aujourd'hui, le défi de la population mondiale est de diminuer sa consommation de carbone. Une multitude d'idées foisonnent, dont une des principales est de consommer "local" pour éviter des transports inutiles. Les commerces ne s'y trompent pas et mettent bien en avant les produits régionaux ou bios pour mieux vendre, plus cher d'ailleurs... Les clients ont ainsi bonne conscience... L'Europe vient d'interdire l'usage de plastique à usage unique, les jeunes descendent dans la rue pour réclamer des mesures concrètes pour sauver le climat. Les écologistes gagnent les élections. Les exemples prouvant cette vague verte sont nombreux.

Appât de l'or bleu
Contrairement à cette vague de fond, les Autorités de Divonne sont en passe d'autoriser la construction d'une usine d'embouteillage (on ne parle pas de l'entrée de l'autoroute en Suisse, mais presque vu le trafic que cela va provoquer). Les décisions ont été prises en catimini et sans appel d'offres.

De quoi s'agit ?
Cette usine produirait 400 millions de bouteilles d'eau minérale en plastique par an, destinées principalement à l'Asie, transportées par 80 camions (donc 160 passages par jour). Notons que de fabriquer une bouteille en plastique pour l'exporter en Chine remplie d'eau est équivalent à envoyer un quart de son volume avec du pétrole gaspillé.

Cela représente 80m3 d'eau par heure enlevés des réserves hydriques de la région. Comment la nature va-t-elle réagir ? Les nappes phréatiques vont-elles se vider ? En 2018, la région a souffert de sécheresse et ce phénomène devient récurrent. Comment la situation va-t-elle évoluer ? Plusieurs autres régions du monde qui fournissent de l'eau pour des grandes sociétés de boissons se retrouvent asséchées : Vittel en France, mais aussi Arrowhead en Californie, entre autres.

Ce projet d'usine est inquiétant. Il est localisé dans le quartier d'Arbère, chemin des Marais, à Divonne à deux pas de zones humides et de la Versoix. Aucune étude d'impact sur l'environnement qui devrait accompagner un tel projet n'a été dévoilée à ce jour. Or, il est indéniable qu'il y en aura un, non seulement sur les ressources hydriques, mais également sur le trafic routier (passage d'au moins 80 camions/jour à la douane), donc sur le bilan carbone. C'est une aberration écologique, d'autant que le Pays de Gex importe de l'eau suisse du Léman à raison de 1.36 millions de m3/an pour couvrir les besoins de sa population.

Comment réagissent les Autorités suisses ?
Le 6 mai dernier, lors d'une séance du COPIL transfrontalier du Contrat Unique Environnement (regroupant le Contrat corridors biologiques et le Contrat rivières), Cédric Lambert, Maire de Versoix, a interpellé la vice-présidente déléguée à l'environnement et au développement durable pour lui demander quel sera l'impact de l'usine de l'embouteillage de l'eau de Divonne sur nos cours d'eau et zones humides. Il lui a été séchement répondu qu'il devait s'adresser directement au Maire de Divonne. Très étonnant puisque, lors de la même séance, le responsable du Service cantonal du lac, de la renaturation et de la pêche a signalé son inquiétude à propos de la baisse du niveau des cours d'eau transfrontaliers suite à quatre année de déficit pluvieux.

Le 8 mai, Roberto Dotta, Syndic de Chavannes-des-Bois a annoncé que huit communes de Terre Sainte allaient déposer un recours contre l'octroi du permis de construire de cette usine d'embouteillage et que le délai de ce recours courait jusqu'au 13 mai. Le vendredi 10 mai, le Conseil administratif de Versoix a décidé de s'y joindre, de même que Céligny le 13 mai.

Ce recours s'intitule "recours gracieux", Il n'a pas d'effet suspensif mais il donne un délai de deux mois à la Mairie de Divonne pour y répondre. Passé ce dernier, si aucune réponse satisfaisante n'est obtenue, un "recours contentieux" devant la juridiction administrative concernée peut être déposé.

Cédric Lambert a personnellement alerté de Président du Conseil d'Etat, Antonio Hodgers, le 12 mai, lors du voyage des Maires. Il prenait connaissance de la situation suite à la question urgente (QUE 1107-A) adressée au Conseil d'Etat par Christina Meissner au Grand-Conseil, le 3 avril 2019. Depuis, ce point s'est traduit par une motion (M 2562) déposée le 15 mai 2019. Le Président du Conseil d'Etat devrait ainsi se saisir de l'affaire et interpeller le Préfet de l'Ain

Soirée d'information
Plus de cinq-cents personnes, toutes générations confondues, s'étaient déplacées le 24 mai à une soirée d'information organisée par la Mairie de Divonne. Autant dire que les habitants des environs sont préoccupés. Les Autorités des communes suisses voisines étaient aussi présentes. Quand bien même toutes les démarches sont franco-françaises, les conséquences environnementales seront bien régionales. Elles ont exigé d'avoir accès aux études hydriques qui n'ont pas encore été publiquement dévoilées. Les réponses aux questions étaient vagues, voire fantaisistes. Les bouteilles seraient transportées par des cargos à voile pour ne pas polluer, entre autres... Force est de constater que la séance a tourné ... en eau de boudin.

Pot de fer contre pot de terre ?
Les Autorités de Divonne tentent de développer leur ville, ce qui est louable. Peut-être y a-t-il d'autres moyens pour mettre en valeur cette jolie bourgade thermale de près de 10'000 habitants de bonne réputation ? Elle bénéficie d'un cadre agréable, d'un casino, d'une belle vue, au pied du Parc naturel du Haut-Jura et les Alpes à portée de vue, sans compter la proximité de la "Genève Internationale". Une carte d'authenticité est à jouer pour diversifier les rentrées financières. Depuis 1892, elle se nomme même "Divonne-les-Bains", titre mérité, ce qui attire des curistes. En diversifiant cette facette touristique, elle pourrait créer bien plus de vingt emplois, chiffre escompté pour l'usine controversée

La population française de Divonne et environs s'est mobilisée, au delà des frontières, contre ce projet d'envergure. Les responsables de ce mouvement aspirent à une qualité de vie pour toute la région. Ils espèrent engager un dialogue constructif avec la Mairie afin que ce plan contraire au bon sens soit abandonné. Ils sont prêts à réfléchir ensemble pour trouver d'autres idées constructives afin de développer harmonieusement la commune en respectant la nature.

Photos : Archive : Association du Patrimoine Versoisien - Divonne permis de construire : Stéphanie Rapoport - Renaturation à Versoix : Anne Lise Berger-Bapst

auteur : Anne Lise Berger-Bapst

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