25.12.2017 par LR
num.274 déc.2017-janv.2018 p.12
Les larmes du grand-père - Conte de Noël

Il y a de ça bien longtemps, dans une petite maison isolée au fond d’une longue vallée encaissée, vivaient Hilda et Joachim, un couple âgé dont la seule ressource était leurs deux vaches, trois chèvres et un âne. Un jardin potager, un bout de prairie, quelques arbustes fleuris dont un magnifique rosier, un pommier, un cerisier et un prunier. Les saisons étaient belles au cœur de la montagne, mais combien l’hiver était rude, surtout quand il durait si longtemps, trop longtemps des fois pour survivre.
Ils avaient eu deux enfants, un garçon, Sylvestre, une fille Francesca, qui allaient à l’école dans un village éloigné de 10 km. Ils partaient le matin et revenaient le soir. Très tôt les parents les amenaient dans leur vieille carriole – on ne connaissait jamais les caprices de l’âne, donc il fallait prendre des précautions – et le soir allaient les rechercher. Imaginez-vous le temps «perdu» sur ces chemins caillouteux semés de crevasses, d’ornières ou de trous dus à l’affaissement du terrain ou aux fortes pluies. Passe encore les chutes de pierres, les petits éboulements de terrain peu stable ! On priait le Ciel que tout se déroule bien. En hiver, lorsque la neige était trop abondante, les chemins impraticables, les enfants restaient à la maison et continuaient leurs travaux scolaires sous l’œil vigilant des parents. Sitôt le temps plus clément, un gendarme chaudement vêtu avec de grosses bottes leur annonçait par un triple son de cor que le chemin était libre. Et les voyages recommençaient avec plus ou moins de plaisir !!! … Et vivement que la belle saison revienne, car il fallait s’activer au jardin, à l’étable, à la grange, s’occuper des animaux, récolter les fruits, emmagasiner les confitures, acheter les réserves pour l’hiver au village, les habits et chaussures pour les enfants qui grandissaient, les outils à remplacer et certaines nécessités prévues ou probables. La vie se déroulait tant bien que mal et toute la famille semblait heureuse.
Les années passèrent, sans grand incident. Le garçon aidait son père puis quitta le foyer pour se marier et travailler au village. La fille resta près de ses parents qui prenaient de l’âge, et s’occupait ainsi de tous les gros travaux. Hélas, un très mauvais hiver humide, long, glacial, entrecoupé d’avalanches et d’épidémies décima les habitants du village. La maison du garçon s’écroula sur lui et sa femme laissant leur petite fille Marie-Line orpheline. Depuis ce jour-là, elle vécut chez ses grands-parents. Hilda fut très éprouvée par ces mois au climat désastreux. Elle s’éteint à la fin du printemps laissant son époux, sa fille et sa petite-fille inconsolables. Puis quelques mois plus tard, une mauvaise grippe emporta Francesca. L’épreuve fut dure à supporter et grand-père n’avait plus envie de se rattacher au monde. Marie-Line était là et c’est elle qui prit la relève et redonna le goût de vivre à son grand-père adoré.
Pénible année s’il en fut, mais dans le jardin, la nature s’était remise en marche, et le rosier rouge qu’avait planté Joachim pour son mariage avec Hilda annonçait comme chaque année la sensible ouverture des boutons. C’était une consolation ! L’été, l’automne, l’hiver apportaient leur lot de travaux, de joies, de peines, de difficultés. Grand-père et petite-fille s’entendaient bien et l’un ne pouvait vivre sans l’autre.
Ce premier Noël sans Hilda ni Francesca semblait d’avance bien triste, et l’on ne pouvait oublier les parents de Marie-Line. La neige était tombée tôt et abondamment et toute la nature étincelait sous le soleil ou les nuits claires étoilées. Marie-Line songeait à tout cela, dans le silence.
Discrètement, elle était allée couper un sapin dans la forêt proche et l’avait caché au fond de la grange. Elle avait préparé des biscuits, brodé les prénoms de la famille sur des serviettes de table et confectionné des étoiles en paille dorée. Cherchant dans la boîte aux trésors de sa grand-mère, elle découvrit des boules, des rubans, des bougies, des fleurs séchées et tant d’autres merveilles, ainsi qu’un bandonéon.
Pendant que grand-père dormait, elle s’attela à garnir le sapin disposé sur une table avec une nappe blanche. Il avait belle allure, ce sapin tout illuminé où brillaient des boules de toutes les couleurs, voltigeaient des oiseaux aux magnifiques teintes et queues de paillettes. Des rubans rouges, des étoiles jaunes dont une importante au sommet du sapin et dans un petit coin sous une branche, les photos des disparus, à côté de la crèche qu’elle avait réalisée.
Marie-Line, sur le coup de minuit, entendant les cloches du village sonner à toute volée, se mit à jouer de son instrument. Les chansons de Noël qu’elle interprétait avec tant d’amour réveillèrent le grand-père. C’est alors qu’il vit dans le salon ce sapin merveilleux, une lumière resplendissante embrasait la pièce. Joachim était transfiguré. Reprenant ses sens, il sortit pour humer l’air frais et admirer cette nuit où la pleine lune dardait ses rayons magiques. Tout brillait de mille feux. Puis jetant un coup d’œil sur son jardin, il vit non seulement son cher rosier avec de magnifiques et grosses fleurs rouges exhalant une odeur agréable de framboise qui emplissait tout le jardin, mais aussi deux rosiers aux roses blanches encadrant celui de grand-mère. Devant celui-ci, un petit arbuste couvert de roses jaunes au parfum délicat, qui lorsqu’on s’en approchait changeait de couleurs et nous enivrait.
- Marie-Line, viens vite, regarde ce cadeau du Ciel ! Grand-mère, tante Francesca et tes parents sont là. Mettons-leur une bougie et chantons.
En disant cela, serrant sa petite-fille tout aussi émue et priante contre sa poitrine, des larmes de joie coulèrent sur les joues de Joachim, larmes qui tombaient en gouttes d’argent sur le sol embaumé. Dans l’étable, les vaches de mirent à meugler et dans cette ambiance de fête, les chèvres bêlèrent de concert avec les braiments de l’âne, chacun peut-être ressentant à sa manière l’instant solennel de ces retrouvailles entre vivants et absents.
Ainsi, en ce soir de Noël, toute la famille était réunie par le cœur et la musique et ce fut le plus beau Noël de Grand-père et Marie-Line. Lucette Robyr
 

auteur : Lucette Robyr

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