25.12.2016 par LR
num.264 déc.2016-janvier p.09
Le Prince errant - Conte de Noël

Il y a bien longtemps dans un lointain pays d’Extrême-Orient vivait un prince assez particulier. Non seulement il possédait plusieurs palais, mais la soif d’étendre sa puissance n’étouffait point son orgueil démesuré. Plus il pouvait étendre son territoire, plus il exerçait sa suprématie galopante, se prenant pour le roi des rois, voire empereur du monde entier. Était-ce une compensation parce qu’il était petit de taille et plutôt bien enveloppé ? Tout juste arrivait-il à s’asseoir sur son trône. Sa laideur ne le troublait guère et l’ajustement de ses vêtements un peu loufoques ne l’avantageait nullement. Il pouvait être clown et grotesque tout comme perdu dans un autre monde aussi invraisemblable que possible. La luxure et la débauche étaient ses points forts. Le malheur dans tout ça, c’est qu’il gouvernait mal; ses conseillers et ses ministres ne valaient pas mieux que lui et le pays allait à vau-l’eau. Le peuple criait misère, grevé d’impôts toujours plus importants. Les révoltes étaient durement réprimées. Si l’on voulait tenir à sa peau, il était préférable de garder le silence et de vivre tant bien que mal dans son coin. Beaucoup préféraient quitter ce pays où personne n’était heureux. De plus on le craignait tout en le plaignant, sentiments mêlés à la fois de peur et de respect, car sa folie prenait parfois des tournures très surprenantes et subites. Enfin, on se faisait une raison pour tout et pour rien, histoire de vivre en paix, pour soi.


Mais un jour, un volcan proche, éteint depuis des siècles, se réveilla d’une manière soudaine et violente. Personne ne semblait avoir entendu quelques grondements ou signes annonciateurs. Hélas, la population en paya le prix lourd et fut complètement décimée. Les cultures, les jardins, les beaux paysages disparurent sous la lave brûlante et les maisons s’effondraient les unes après les autres. Le prince affolé se réfugia dans les abris de son palais et attendit que tout se terminât le plus calmement possible, sans nouvelle éruption, sans s’inquiéter des membres de sa gouvernance et de son peuple. Advienne que pourra, se disait-il, se faisant plus de souci pour ses terres perdues et ses « châteaux » tombés en ruines. Il se sentait homme libre et en sécurité, satisfaisant son égo.


La mer bordant les côtes de ce pays reculé, mais tant soit peu paisible, s’enflamma et dans une puissante marée dévasta ce qui restait encore debout. Et alors le palais du prince fut complètement inondé. Il n’en fallait pas plus pour fuir, s’échapper de ces flots continus, essayer de nager le plus loin et le plus longtemps possible jusqu’à la terre ferme. Pleurant sur tous les biens qu’il ne pouvait emporter, il préféra sauver sa propre personne.


A vrai dire, il n’avait pas le choix. Le hasard lui fut favorable. Un arbre déraciné s’était accroché à une tourelle du palais. Il se hissa de toutes ses forces, appelant à l’aide à plusieurs reprises. Mais personne ne l’entendit. Il demeura ainsi plusieurs jours et plusieurs nuits, jusqu’à ce que les eaux se retirent, et que le volcan s’éteignît. Il contempla, et ne découvrit avec horreur que ruines et désolation, un monde dantesque. Pensant rentrer dans son palais, il ne trouva plus rien, pas même de quoi se protéger ou manger. Réfléchissant sur son sort, il décida de quitter cet endroit ravagé et peu sûr et de marcher à la découverte de quelque personne ou de quelque abri. La faim et le sommeil le tenaillaient. A quoi bon dormir, si un cataclysme lui retombait sur la tête.


Il partit ainsi clopin-clopant, un bâton noirci à la main, marchant sur les débris calcinés dégageant de fortes odeurs de brûlé et de fumée, sautant de pierre en pierre pour éviter de tomber sur les braises ou autres flaques d’eau encore chaudes.
Les journées se poursuivaient longues sous un soleil brûlant ou un ciel assombri de nuages volcaniques. Quant aux nuits, si courtes fussent-elles, demeuraient peuplées de cauchemars. La nourriture tenait à quelques baies séchées par la chaleur et l’eau, celle des gouilles laissées par la mer étanchait maigrement sa soif. Il fallait donc marcher, marcher encore jusqu’à trouver un havre de paix, une personne à rencontrer, un endroit propice pour changer ses habits, se laver, se nourrir et dormir agréablement.


Rien à l’horizon ! Voilà des semaines qu’il marchait par monts et par vaux sur des chemins caillouteux, des déserts de sable ou d’herbes sèches éparpillées. Même pas un animal qui le croisait. Quel bonheur il aurait ressenti en le voyant ! Il était seul au milieu de nulle part, seul avec sa conscience, son cœur asséché et seul avec lui-même. Amaigri, affamé, assoiffé, son corps plus que courbaturé, mains et pieds couverts de cloques et de blessures, le pauvre homme commença sérieusement à désespérer. Il était en proie à des crises violentes d’angoisse, de peur, d’en finir avec la vie. Mais son orgueil le tenait debout malgré tout. Son existence d’avant il ne la regrettait pas. Bien au contraire, il la recommencerait. Sans rien, on ne va pas bien loin. Exténué, il s’assit sur une touffe d’herbe où poussaient quelques fleurs. Rarissime dans cette contrée au sol aride ! Qu’allait-il devenir ? Mourir et mangé par les charognards tombés du ciel, en cascades ininterrompues jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien de lui, non, il n’en voulait pas, il tenait trop à sa personne, et vu son rang, il méritait mieux que ça.


De deux choses l’une : soit il vit en s’améliorant, soit il meurt avec tous ses défauts. Dans son pays, il se savait détesté mais ça ne le touchait pas. Longue, longue réflexion, doutes, questionnements, passé ou avenir, tout se mélangeait dans sa tête. Que faire, que dire, qu’envisager ? Son interminable marche l’avait épuisé de part et d’autre, corps et âme. Il n’était pas homme à se laisser abattre, donc il continua à mettre un pied devant l’autre avec l’espoir de retrouver un ciel plus clément en sa faveur. Ce n’était plus le prince qui marchait mais une loque humaine en face de ses tourments. Qu’attendait-il de ce ciel ?


Un secours, ou rien ? Tout lui était indifférent. Même les couleurs d’un paysage verdoyant, des montagnes et des vallons où volent des oiseaux, des rivières qui chantent sous le vent, rien ne lui plaisait ou touchait son cœur. Voilà des mois qu’il était en route, sans avoir rencontré âme qui vive. La région qu’il traversait semblait plus hospitalière. Au détour d’un chemin hérissé de ronces, il découvrit une grotte dans un rocher cachée par des buissons. Où suis-je ? Oserai-je entrer dans ce trou inconnu ?


La curiosité et l’épuisement le forcèrent à aller guigner et s’installer au moins pour se reposer et goûter aux fruits rouges de ce buisson. Il entra et vit au fond d’un couloir sombre une lumière blafarde qui clignotait. Intrigué, il s’approcha et vit un vieillard à longue barbe assis sur une pierre et priant. Viens mon fils, lui dit-il, enfin te voilà pour te convertir et trouver la sagesse. Ta longue route t’a mené chez moi pour changer de vie et aspirer à la béatitude. Tu as pu réfléchir durant ces longs mois, tu es dépouillé de tout et c’est là l’important. Atteindre le spirituel par le chemin du pardon, de l’humilité et de la pauvreté. Il est temps de retrouver la lumière intérieure. Tu resteras avec moi jusqu’à délivrer ton esprit des choses impures et retrouver la sérénité. Nous avons le temps. … Le marcheur écouta et s’effondra. L’épuisement achevait notre homme.


Depuis ce jour, après cette période d’épreuve, ce prince errant qui n’avait plus que la peau et les os se trouva transformé auprès de cet ermite, ce sage qui lui enseigna les grands préceptes de vie qui illuminent tout homme. Ce fut un miracle en soi. Ainsi naquit un être nouveau qui s’en alla, bien plus tard, prêcher l’amour, la pureté, la non-violence, le pardon et le partage. Il vivait enfin de sa lumière intérieure.


Joyeux Noël !                          Lucette Robyr
 

auteur : Lucette Robyr

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