21.02.2014 par ALBB
num.236 mars 2014 p.14
Mémorial du HCR : une statue créée par un Versoisien

Hac Team Ngo a juste vingt ans lorsqu'il débarque à Lausanne pour étudier l'architecture au bénéfice d'une bourse de 500.- octroyée par le gouvernement de son pays natal, le Cambodge. Jamais il n'aurait imaginé, lorsqu'il a quitté ses proches, qu'il ne les reverrait jamais plus et qu'il ne reviendrait sur ses pas dans sa province natale qu'en 2001, soit 41 ans plus tard !

Entre-temps, il a réussi ses études d'architecture, travaillé tant en France qu'en Suisse, s'est marié avec une compatriote avec laquelle il a fondé une famille, découvert son goût pour la sculpture et la peinture, bref, il a construit sa vie en Europe.

Aujourd'hui à la retraite, il habite Versoix et continue de peindre. Il a exposé à plusieurs reprises dans notre commune, de manière individuelle à l'EMS Bon-Séjour et aussi lors de collectives à la salle communale en automne.
Pendant ce temps, le Cambodge s'est ensanglanté, la guerre a séparé les familles, détruit les réseaux sociaux tant et si bien que les expatriés, dans la majorité des cas, n'ont jamais pu retrouver leurs proches, dont la plupart sont morts, laissant dans leur cœur une profonde souffrance.
 
Alors, comme pour conjurer le sort, lorsqu'il est revenu s'installer à Genève, Hac Team a participé au Groupe des amis du HCR, histoire de mettre ses forces au service d'autres réfugiés un peu partout dans le monde. Le 6 septembre 2000, lorsque trois employés du HCR travaillant au Timor Oriental ont été massacrés, ses propres souvenirs mélangés à cette réalité l'ont hanté. Il a proposé de faire une sculpture inspirée du logo du HCR en souvenir des membres de l’Organisation qui ont laissé leur vie sur l'autel de la protection d'autrui.
 
Cette sculpture en bronze se trouve au centre du mémorial du HCR. Elle est composée de deux mains exsangues en forme de pont protecteur dont chacune des paumes est ornée d'un cœur. Une mère et son enfant s'agrippant à elle courent, en direction de ce fragile et unique abri, seul espoir à l'horizon. Lorsqu'on regarde de plus près cette œuvre, on remarque que les mains sont ornées d'oiseaux.
En Europe, on pense "Colombe de la Paix", alors qu'un Asiatique y verra le symbole de la liberté. Un animal, deux significations qui se ressemblent…
 
Par ailleurs, lorsqu'on est face à la statue, la lumière est telle qu'on est ébloui, alors que derrière, le sujet est limpide : l'arche formé par les mains est un but, le seul lieu de protection possible. Les rayons de marbre sur le sol ne font qu'amplifier cette vision.
 
La souffrance de Hac Team Ngo de n'avoir pu retrouver sa famille lui a permis, à travers son art, d'exprimer celle des proches des employés du HCR morts au Timor Oriental. Il leur a offert un mémorial à la fois digne, touchant et simple, un lieu où se retrouver, un témoignage d'amitié et, surtout, une affirmation que de tels massacres ne doivent plus être perpétrés.
 
Pour admirer cette œuvre, il suffit de se rendre au HCR (juste à côté de la Place des Nations) et de demander à la réception qu'on ouvre la porte du Mémorial. La pièce ronde est propice à un temps de réflexion autour du thème de l'(in)humanité et les bancs invitent le public à s'asseoir. Il est même possible de laisser un mot dans le Livre d'Or si l'envie vient.
 

auteur : Anne Lise Berger-Bapst

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