18.06.2013 par AF
num.230 juillet 2013 p.15
Exceptionnelle soirée

Exceptionnelle soirée à l’Aula des Colombières : l’association parfaite du cinéma et de la musique


A l'heureuse initiative de M. Marc Houvet, responsable de CinéVersoix et de Mme Brigitte Siddiqui, responsable de l'organisation des concerts classiques aux Caves de Bon Séjour, l'Aula du Cycle des Colombières a été le cadre, le samedi 25 mai, de la projection du film sensation ARGERICH de Stéphanie Argerich, fille de la célébrissime pianiste Martha Argerich. 

En prélude à la projection du film, le public a eu la chance d'entendre le concertiste argentin Luis Ascot interpréter avec brio, malgré un piano qui n'était sans doute pas à la hauteur de l'artiste, quelques pièces du célèbre compositeur argentin du XXe siècle Alberto Ginastera dont les magnifiques Tres Danzas Argentinas ainsi qu’un bis intitulé Milonga.
Il est intéressant de noter que la musique bien sûr mais la Suisse et Genève particulièrement constitue un trait d'union entre Martha Argerich, Luis Ascot et Alberto Ginastera. En effet, tous trois ont un jour posé leurs valises à Genève pour y demeurer un temps ou pour toujours. La première fut Martha. Elle y suivra les fameux cours de Madeleine Lipatti et Nikita Magaloff et remportera en 1957 le premier Prix du Concours international d'exécution musicale. Elle reviendra ensuite à Genève une dizaine d'années plus tard.
Alberto Ginastera arrivera à Genève au début des années 70 fuyant la répression et la censure de la "dictature de la révolution argentine" et y demeurera jusqu'à sa mort en 1983. Quant à Luis Ascot, ayant obtenu une bourse du Gouvernement Suisse, il se rend à Genève pour y suivre l'enseignement de Harry Datyner et remporter successivement en 1973 le premier Prix de virtuosité et le Prix Paderewski du Conservatoire de musique de Genève, institution où il enseigna jusqu’à sa récente retraite. Actuellement il vit à Buenos Aires, mais revient fréquemment dans sa ville de cœur.

Après le beau récital-hommage offert à Martha par Luis Ascot place au film Bloody Daugther.

Les premières images nous dévoilent Stéphanie Argerich, la réalisatrice, en train d'accoucher d'un petit garçon. Martha à ses côtés, semble à la fois ailleurs, détachée, mais tendre et complice. Cette ambivalence du personnage Martha à la fois présente et éloignée, à la fois humaine et « déesse » se ressentira tout au long du film. Au premier abord, ces images d'une rare intimité peuvent paraître dérangeantes et de nature exhibitionniste. Pourtant, à la lumière du film, on comprendra qu'elles renferment un sens profond : le film traite de la filiation, des rapports complexes avec sa famille et surtout de l'acceptation de soi-même et de l'autre. Stéphanie cherche à comprendre d’où elle vient, elle qui est née dans une famille éclatée avec deux demi-sœurs, Lyda Chen, fille du chef d'orchestre Chen Liang-Sheng, et Annie Dutoit, fille du chef d'orchestre Charles Dutoit.
Longtemps Stéphanie a eu l'idée de faire un film sur ses parents, monstres sacrés du piano, Martha Argerich et Stephen Kovacevich, américain d'origine yougoslave qui fut « le grand amour de Martha » dont on apprend qu'il a trois passions : Ludwig Van Beethoven, les belles femmes et le tarama qu’il fait lui-même. Si Stéphanie porte le nom de sa mère, Argerich, la raison en est que ses parents, qui n’étaient pas mariés, ont tiré son nom à pile ou face à sa naissance. Cette anecdote est une fois encore révélatrice des tempéraments extravagants de Martha et Stephen. A 18 ans, elle découvre par hasard sur son acte de naissance qu’à la place du nom de son père, il y a la mention « père inconnu ». Le film est donc une interrogation perpétuelle, une tentative pour appréhender la nature complexe de ses parents. Elle s'interroge et interroge... mais ses parents qui en concert sont si brillants semblent, dans l'intimité des coulisses, démunis de toutes réponses.

« Bloody Daughter », surnom donné à Stéphanie par son père, est ainsi composé de ces instants de vie pris dans l'intimité, de quelques scènes tournées aujourd’hui ainsi que de nombreuses captations de concerts de Martha Argerich, ce qui n'est pas pour nous déplaire. Le scénario, dont l’écriture est d’une grande finesse, dévoile les faits avec simplicité, sans tomber dans le pathétisme larmoyant. C'est l'histoire d'une famille complexe, éclatée, qui nous est dévoilée ici sans fard et sans tabou qui émeut par les émotions et la fragilité qui s'en dégage.

Encore un grand merci à Marc Houvet et Brigitte Siddiqui pour cette belle soirée lors de laquelle l'excellente association du cinéma et de la musique a fait merveille. Espérons que l'expérience puisse se réaliser à nouveau prochainement.

auteur : Alexandre Fradique

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