19.04.2013 par JJ
num.228 mai 2013 p.12
L'heure du changement ?

De révélations en révélations

Ces derniers temps ont été marqués par de nouvelles affaires économiques très graves. On a eu le scandale de Chypre, qu'il a fallu recapitaliser à coups de milliards fictifs créés de toute pièce par la banque centrale européennes ou amenés par le FMI qui l'avaient reçus principalement de pays qui utilisent la planche à billet, tels que les Etats-Unis, le Japon ou la Suisse, depuis l'arrimage du franc à l'euro. Après Chypre, qui était sensée être une exception, on découvre que la Slovénie est en mauvaise posture et l'Italie inquiète, notamment par son incapacité à former un gouvernement.
Ensuite, il y eu le scandale des fonds offshore, que l'on connaît depuis bien longtemps, mais dont le linge sale était habituellement lavé en famille. La Suisse, horrifiée, découvre quelques avocats peu scrupuleux et quelques banques peu regardantes ; on pointe soudain du doigt les îles qui ont bâti leur fortune sur ces pratiques depuis très longtemps. Il est vrai que pendant ce temps la City de Londres et ces pratiques plus opaques encore avec les trusts, ou quelques Etats américains comme le Delaware, respirent en attendant. La Suisse et les îles, c'est tout petit et en plus elles peuvent pas vraiment se défendre.
Bien sûr il faut se réjouir de ces révélations et de tout ce qui accroît la pression sur des pratiques qui constituent un réel danger pour la société dans ensemble, mais il semble que le problème principal, celui qui sous-tend ces révélations à répétition, soit éludé. Le problème provient sans doute du système lui-même.

Un système économique impossible

Comment un système qui se base sur l'hypothèse d'une croissance économique infinie dans un monde aux ressources finies peut-il fonctionner ? La réponse: il ne peut pas. Ce d'autant qu'aujourd'hui la croissance passe par un accroissement de la consommation. Sans cela, et c'est ce que nous observons, l'économie ralentit, voire s'effondre.
Deux hypothèses, la croissance se maintient par l'opération du saint-esprit, alors même que les dettes des pays industrialisés explosent, par exemple par une consommation accrue dans les pays émergents. Auquel cas, nos ressources non renouvelables vont s'épuiser rapidement et il faudra trouver d'autres solutions pour faire fonctionner une société mondiale dépendante de ces ressources. Hypothèse deux, la croissance ne se maintient pas, en raison de la crise économique qui s'accentue. Nous préservons nos ressources, mais il faut repenser l'organisation sociale des pays touchée par un chômage élevé et des inégalités en forte hausse, comme c'est déjà le cas actuellement (visible dans les statistiques de l'OCDE).

Le rapport au travail doit changer

Attendre de voir comment évolue la situation est bien sûr une option, mais l'immobilisme a rarement fait avancer. Quelles sont les alternatives ? Il existe plusieurs courants de pensée qui se penchent sur la question et des idées de solutions émergent petit à petit. L'une d'elle consiste à repenser notre rapport au travail. Paul Jorion, un sociologue spécialiste de l'économie, explique par exemple que la suppression du travail ou son remplaçement par les machines est ce que nous souhaitions et peut être une bonne chose, si elle profite à tous et qu'elle permet à l'humain de moins travailler.
Or aujourd'hui, la dynamique économique mondiale, poussée par les multinationales, c'est effectivement la suppression de postes de travail pour diminuer les coûts. Lorsque certaines entreprises délocalisent en Chine, on oublie de mentionner que bien souvent lors de cette manoeuvre elles suppriment en plus des emplois pour les remplacer par des machines. Un exemple frappant concerne Foxconn, le plus gros sous-traitant électronique au monde, qui produit notamment les produits Apple, mais aussi les produits des concurrents comme Dell, HP et les autres. A Shenzen, l'usine Foxconn est plus grande que Genève et emploie environ 400'000 personnes. Mais récemment, Foxconn a engagé des millions pour créer les plans d'une nouvelle usine pratiquement entièrement automatisée, qui remplacera celle de Shenzen. Cette usine coûtera des milliards et lorsqu'elle sera terminée, Foxconn pourra se passer de ses 400'000 employés de Shenzen.

Un chômage inévitable

La productivité mondiale ne cesse de progresser, ce qui veut dire que nous produisons toujours plus avec toujours moins d'employés. La conséquence évidente est que l'augmentation du chômage est inévitable dans ce système et qu'il arrivera un moment où ces usines automatisées seront inutiles, car le nombre de gens qui pourront alors se payer un produit qui y est fabriqué sera trop faible. En d'autres mots, ce système n'est pas durable, car il récompense les inégalités et favorise l'augmentation des écarts de richesse de façon continue, voire exponentielle, ceux qui n'ont pas de travail s'appauvrissant et constituant petit à petit une majorité. Paul Jorion nous donne une piste, car il explique que nous pourrions diminuer notre temps de travail et profiter ainsi de ces gains de productivité sans précédents que l'humanité a accompli depuis la première révolution industrielle du 18-19ème siècle. Comment le faire ? Voilà un problème complexe, car aujourd'hui ce sont les multinationales qui ont le pouvoir. On l'a vu récemment par un commentaire de M. Brabeck suite à l'acceptation de l'initiative Minder et la votation prochaine sur l'initiative des jeunes socialistes qui réclament une limitation des écarts salariaux à 12 fois le salaire minimum. M. Brabeck trouve que l'environnement politique suisse devient instable et souligne que cela « menace la réussite économique sans égale de la Suisse ». Quelqu'un qui gagne des millions serait-il donc plus performant que celui qui ne gagne « que » quelques centaines de milliers de francs ? Bien sûr que non. En fait il existe même des études qui montrent que cela génère des comportements généralement peu valorisés dans la société, tel que le manque d'empathie et l'avidité aveugle. Le visionnage du documentaire d'Arte sur « Nestlé et le business de l'eau en bouteille » est édifiant sur ce point. Le commentaire de M. Brabeck citait aussi une possible délocalisation du siège de Nestlé et de ces collaborateurs, un chantage économique voilé en somme. Et nous avons droit au même genre de couplet à chaque discussion sur les impôts et c'est également la base de ce concept révoltant d'impôts préférentiels pour les sociétés étrangères qui choisissent de s'implanter chez nous et que nos voisins européens commencent à dénoncer.
La réponse à apporter semble donc de nature globale et la Suisse, seule dans son coin est mal préparée aux changements qui se préparent. Il existe pourtant encore une autre voie intéressante et qui mériterait qu'on l'étudie sérieusement et qu'on en teste la viabilité en Suisse, il s'agit du revenu de base. La suite au prochain numéro !

auteur : Jérémy Jaussi

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