14.10.2012 par TM
num.222 oct.2012 p.24
Mon avis sur la nouvelle constitution genevoise.

Une nouvelle constitution pour Genève?

Un peu d'histoire
Quatre cents ans avant notre ère naissait la démocratie, un idéal de pouvoir réparti équitablement entre les mains du peuple. Basé sur le logos, ancêtre de la raison, le système politique de la cité athénienne se transforma progressivement, aspirant à un système toujours plus proche de l'idée de départ.
Chez les Romains, grands admirateurs de la société grecque d'antan, on tenta de reprendre les travaux des Hellènes, mais le pouvoir fut rapidement perverti par des intérêts particuliers et un lent déclin mena progressivement au despotisme.

Après mille cinq cents ans d'ordre divin, on rationalisa et universalisa la charité chrétienne (générosité et pardon) pour créer l'humanisme. Essayant de baser l'ordre nouveau sur la raison, l'idée de démocratie renaissait. 

Mais la raison s'en prit aussi aux biens matériels, rationalisant leur production et donnant naissance au matérialisme. L'industrialisation et le salariat empiétant sur le droit et à la dignité des Hommes, on tenta de répondre par un droit protecteur de valeurs ancestrales qui tendaient à s'émietter, permettant ainsi de trancher entre libéralisme économique et condition humaine.
Dans ce contexte, on écrivit la constitution de 1847, fondement des lois et garant d'idéaux humains et raisonnables, porteuse de l'idéal démocratique.

En 2007
Si l'on a alors choisi en 2007 de réformer la constitution, c'était pour répondre à des problèmes nouveaux, c'était pour la rendre encore plus solide face au temps, car l'une des caractéristiques d'une constitution, c'est qu'elle puisse perdurer et s'adapter tant à notre époque qu'à celle d'antan ou qu'à celle à venir, qu'elle soit atemporelle.

Il est cependant malheureux de constater que la constitution proposée ne répond pas aux défis qu'impliquait cette réforme. Peu ont certainement lu le texte de la constituante et peu ont pris le temps d'examiner en détail les deux versions, peu ont fait l'analyse détaillée du travail fourni par l'assemblée.

La nouvelle Constitution, quelques défauts
Pourtant, les défauts sautent aux yeux, l'article 1 de l'ancienne constitution, muté en deux articles dans le nouveau texte en est l'illustration. En effet, les deux nouveaux articles sont, en plus du dédoublement, plus denses en caractères, plus importants en alinéas, plus confus et présentent une perte de substance. De plus, certaines fioritures ornent un texte (nouveau), qui devrait se borner à son caractère technique et tranchant. Pire. elles enlèvent de la clarté!

Si l'ancien texte était clairement basé sur la raison et l'humanisme sans qu'on n'eût besoin de le spécifier, le nouveau se targue de spécifier quatre piliers: justice, solidarité, liberté et responsabilité. Termes vagues et réducteurs, choisis maladroitement et arbitrairement.

De plus, malgré le gain en longueur, la notion de citoyen n'est plus définie. L'ancien texte, alors écrit intelligemment relatait en outre tout ce que tente de préciser la proposition constitutionnelle, en traduisant toutes les subtilités des notions de démocratie et de souveraineté par un savant choix des mots.

Outre la longueur avec 50 articles supplémentaires et deux fois plus de caractères, le texte est miné de contradictions. Il faut dire que le mode de rédaction y est pour quelque chose: lobbies, partis politiques, groupes de pression et associations avaient leurs entrées à la constituante. Ainsi, sans se mettre d'accord sur les controverses, chacun milita pour obtenir son alinéa ciblé sans se soucier du fait que poussé à l'excès, il pouvait contredire d'autres alinéas engagés.

De ce fait, au lieu d'être un outil qui fixe des limites pour le bien être de chacun et pour l'épanouissement démocratique, le texte nouveau reproduit toutes les controverses du monde moderne, donnant un champ libre aux juges et aux politiciens et laissant ouverte la possibilité qu'ils soient séduits par le plus fort plutôt que par le plus juste.

Un mandat outrepassé
L'assemblée constituante, à défaut d'avoir rendu le texte plus efficace et plus éternel, l'a rendu plus temporel, très adapté aux groupes d'intérêts qui animent notre époque, sans savoir lequel dominera dans cent ans, ni lequel ne perdurera pas, mais elle ne s'est pas arrêtée là. Elle a aussi jugé bon de supprimer certains droits importants, comme celui à la présomption d'innocence (anciennement article 4). Certes, la constitution fédérale assure déjà celle-ci, mais c'est étrange quand on sait que la quasi-totalité des articles ne sont qu'une répétition plus spécifiée du droit fédéral.
L'avantage toutefois était d'avoir un texte complet auquel on pouvait se référer sans passer par la loi fédérale, sachant que celle-ci assurait la compatibilité des deux écrits. Par ailleurs, outrepassant la mission que le peuple avait moralement donné à ce groupe de travail, on a trouvé bon d'allonger les mandats électoraux à cinq ans (au lieu de quatre). Sans même juger des inconvénients démocratiques que cela apporte, favorisant la politique de métier, était-ce vraiment ce que s'imaginait le peuple? N'avait-il pas plutôt l'image d'un texte vétuste qu'il fallait réformer? Et même si le document (ancien) n'avait pas pris une ride par certains aspects, il pêchait en manque par d'autres. Une réforme n'était pas chose mauvaise, des moyens de trancher dans les controverses nouvelles n'auraient pas été malvenus. Mais plutôt que d'apporter ces réformes, on préféra retoucher nombre d'articles qui auraient pu être laisser intacts, tout en se contentant d'ajouter des articles inefficaces, temporels et contradictoires.

Au final, plus saisis par leur appartenance politique que par tout ce que représente une constitution, une protection ultime au service du peuple quelle que soit l'époque, un texte de loi simple utilisable en dernier recours, un contrat de vie en société, les élus de la constituante en ont fait un épouvantail à la place d'un véritable chien de garde, une régression donc.

auteur : Thomas Mazzone

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