26.11.2011 par MJi
num.214 déc. 2011 p.04
Le Nouveau testament n'est pas un grand texte!

Nouveau Testament: l'angélisme de Charles Beer fait un miracle
Etre présent en étant absent. C'est le miracle qu'entend réaliser Charles Beer en faisant de la présence du Nouveau Testament une telle "évidence" que le DIP peut se dispenser d'inclure une mention du christianisme dans son recueil de textes destiné aux élèves de 9ème du Cycle d'orientation (CO) et consacré aux questions existentielles (l'origine du monde, la condition humaine, la mort et l'au-delà). Et laisser entendre, dans la Tribune du 22 octobre 2011, qu'un extrait du Nouveau testament serait prévu dans le recueil de 10e, centré sur le fondement du lien social, ou dans celui de 11e, axé sur l'altérité, les droits de l'homme et la "distanciation à la règle" (la déviance), c'est prendre les enfants du Bon Dieu pour des canards sauvages.


Il a un moment où la reconnaissance de l'oubli - qui est une erreur - s'imposerait, sauf à vouloir transformer l'un et l'autre en faute. Sauf que ce n'est pas d'un oubli factuel qu'il s'agit pour l'heure, mais d'une mise à l'écart délibérée. Car le discours du DIP est à plusieurs niveaux selon le locuteur.
Pour le responsable politique, Charles Beer, il n'y a même pas oubli, car la non-mention n'est que le prélude à la présence, à défaut de la signifier. Peu importerait donc l'absence du Nouveau Testament dans le recueil actuel de 9ème, dans la présentation par power-point de ce nouvel enseignement aux médias, ni dans un "document de liaison vraisemblablement destiné aux enseignants" présentant une sélection "exemplative" et donc non exhaustive des textes pour la 10ème et la 11ème années du CO.

Sauf que l'on voit difficilement la pertinence de l'accroche néo-testamentaire pour traiter du "fondement du lien social », la diversité des coutumes y sera illustrée par Hérodote, les premières formes de lois par le Code d'Hammourabi, les règles sociales par la Bible, les lois de Calvin et le Coran (lapidation incluse ?). Sauf que l'on voit encore plus mal l'inclusion du Second Testament dans la liste des auteurs convoqués pour "fonder les notions d'altérité et de droits humains et la distanciation à la règle" tels que Voltaire, Rousseau, la Déclaration des droits humains et citoyens de 1789 - je propose ici mon adaptation du titre de ce texte au vocabulaire du DIP - Zola. Primo Levi et Gandhi.
Le problème surgit quand on met face à face les déclarations de Charles Beer et la présentation de son travail par le professeur Borgeaud, le responsable scientifique de ces recueils.
En effet, le premier affirme que "le Nouveau Testament est depuis le départ au programme du fait religieux, c'est tellement évident. Sa place parmi les Grands textes n'a jamais fait aucun doute, on ne peut pas les présenter sans prendre en compte le Nouveau Testament".

Or le discours du second est d'un tout autre ordre. Dans son" Avertissement" bien nommé au lecteur, il veut d'abord "tenir réellement compte de la diversité des cultures humaines, en évitant de tout ramener à nous".
Et là vient la phrase qui prépare la mise à l'écart du Nouveau Testament: "Il s'agissait de réfléchir au dosage le plus judicieux entre un héritage historique occidental conduisant des mythologies et pensées de l'Egypte ancienne, du Proche-Orient mésopotamien et biblique, de Grèce, de Rome jusqu'au judaïsme, au christianisme et à l'islam, et un apprentissage plus anthropologique (et comparatiste), lui aussi nécessaire, introduisant à une altérité plus radicale dans le champ de vision de nos élèves. [ ... ] C'est cette ouverture sur l'humanité globale, dans la potentialité de ses diversités, qui est apparue fondamentale pour échapper à un regard trop européo-centré (avec une attention trop exclusive portée aux trois traditions monothéistes)".

On peut admettre, sans pour autant la partager, cette vision comparatiste qui entend éviter le péril de la hiérarchisation des différences entre civilisations. On ne peut comprendre en revanche la contradiction entre la présence systématique de deux des trois traditions monothéistes (judaïsme et islam) et l'absence tout aussi systématique de la troisième (christianisme) dans ce premier recueil. On ne peut en aucun cas accepter que l'"altérité plus radicale" implique la négation de soi. Comment comprendre et connaître l'autre sans se connaître soi-même dans ses racines, ses traditions, ses textes fondateurs, du Nouveau Testament à la Déclaration de 1789 - et à l'école philosophique qui l'a inspirée?
Bref, quand Philippe Borgeaud prétend que "s'extérioriser par rapport à une tradition religieuse (la sienne y comprise) est un grand pas en direction du vivre ensemble", on peut le suivre, pour autant que ce pas soit aussi accompli par des représentants de courants plus intolérants, moins au fait des vertus théologales que sont l'espérance, la charité et la foi, auxquelles l'on peut encore ajouter la tolérance. Encore faudrait-il que sa volonté comparatiste d'altérité radicale ne déséquilibre pas son propos au point de le délégitimer.

Bref, si le Nouveau Testament doit à l'évidence être présent, que Charles Beer accomplisse alors le miracle de l'inclure dans la seconde édition de ce recueil de textes traitant de questions existentielles pour les élèves de 9ème du CO. Et que Philippe Borgeaud accepte que la compréhension de l'altérité implique une connaissance non culpabilisée de soi. En cette période d'élections fédérales, il y aurait là matière à dépasser la politisation dont le premier voit trop facilement la trace et le catéchisme que semble craindre le second, dans un pays et surtout un canton où le concept d'héritage n'est apprécié à gauche que sous l'angle de sa fiscalisation...

P.Weiss, député.

auteur : Michel Jaussi

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