16.10.2012 par TM
num.223 nov 2012 p.10 Opinion: la nouvelle constitution
Le dimanche 14 octobre, les Genevois se rendaient aux urnes pour trancher sur un projet de constitution qui aura coûté près de 15 millions de francs et cinq ans de travail. Sur versoix-region.ch, on pouvait trouver un bref rappel historique durant la semaine qui a précédé la votation. Après mille cinq cents ans d'ordre divin, on rationalisa et universalisa la charité chrétienne (générosité et pardon) pour créer l'humanisme. Essayant de baser l'ordre nouveau sur la raison, l'idée de démocratie renaissait. Mais cette même raison s'en prit aussi aux biens matériels, rationalisant leur production et donnant naissance au matérialisme. L'industrialisation et le salariat empiétant sur le droit et la dignité des Hommes, on tenta de répondre par un texte protecteur de valeurs qui tendaient à s'émietter, afin de tracer une ligne assez objective entre libéralisme économique et condition humaine. Ainsi, on écrivit la Constitution de 1847, fondement des lois et garante d'idéaux humains et raisonnables, porteuse de l'idéal démocratique. Si l'on a alors choisi de réformer la constitution en 2007, c'était pour répondre à des problèmes nouveaux, c'était pour la rendre encore plus solide face au temps, car l'une des caractéristiques d'une constitution, c'est qu'elle puisse perdurer et s'adapter tant à notre époque qu'à celle d'antan, et qu'elle soit en mesure de doubler l'avenir par anticipation, qu'elle soit atemporelle. On pouvait aussi y découvrir un aspect de faillite au mandat constituant. Or, les défauts sautent aux yeux: l'article 1 de l'ancienne constitution, muté en deux articles dans le nouveau texte en est l'illustration. En effet, les deux articles proposés sont plus denses en caractères, plus importants en alinéas et plus confus ; ils présentent aussi une perte de substance (la notion de citoyen n'étant plus définie). De plus, on les a ornés de fioritures qui enlèvent en clarté, en tranchant et en objectivité. Oui, si l'ancien texte était clairement basé sur la raison et l'humanisme sans qu'on n'eût besoin de le préciser, le nouveau document se voit spécifier quatre piliers: justice, solidarité, liberté et responsabilité. Termes vagues et réducteurs, choisis maladroitement et trop arbitrairement. L'ancien article 1, alors écrit intelligemment relatait en outre tout ce que tente de préciser la proposition constitutionnelle, traduisant toutes les subtilités des notions de démocratie et de souveraineté par un savant choix des mots. Cette constitution anciennement plus concise (50 articles de moins et deux fois moins de caractères) ne débordait non plus pas de contradictions ; mais il faut dire que le mode de rédaction de la nouvelle constitution ne fut sans doute pas étranger à cette perte de qualité: lobbies, partis politiques, groupes de pression et associations avaient tous leurs entrées à la constituante. Ainsi, sans se mettre d'accord sur les points de controverses, chacun milita pour obtenir son alinéa ciblé sans se soucier du fait que poussé à l'excès, il pouvait contredire d'autres alinéas engagés. De ce fait, au lieu d'être un outil fixant des limites techniques pour le bien-être de chacun et pour l'épanouissement démocratique, le texte nouveau reproduit toutes les controverses du monde moderne, donnant un champ libre aux juges et aux politiciens, sans répondre à l'éventualité qu'ils soient séduits par le plus fort plutôt que par le plus juste. On y voyait expliqué en quoi ce mandat avait été outrepassé. Ayant, pour ainsi dire, outrepassé la mission que le peuple lui avait moralement donnée, ce groupe de travail a jugé bon de prolonger les mandats électoraux à cinq ans (au lieu de quatre). En plus des inconvénients démocratiques évidents que cela apporte, le peuple n'avait-il pas en tête l'image d'un texte vétuste à réformer? N'est-ce pas fondamentalement différent que de faire du réformisme sur des points dont tout le monde semble s'accommoder encore aujourd'hui ? Et même si le document (ancien) n'avait pas pris une ride par certains aspects, il péchait bel et bien en manques par d'autres. Une réforme n'était pas chose absurde, des moyens de trancher dans les controverses nouvelles n'auraient pas été malvenus. Mais plutôt que d'apporter ces bienfaits, on a alors préféré retoucher nombre d'articles qui auraient pu être laissés intacts d'une part, tout en se contentant d'ajouter des articles inefficaces, temporels et contradictoires d'autre part. Au final, plus animés par leur appartenance politique que par tout ce que représente une constitution - soit une protection ultime au service du peuple quelle que soit l'époque, un texte de loi simple et utilisable en dernier recours, un contrat de vie en société - , plus intéressés que conscients de la portée de la tâche, les élus de la constituante ont donc remplacé une véritable paire de dogues par des chiens de faïence qui regardent l'érosion emporter lentement leurs formes, une régression donc. A cela, l'issue du vote ajoute une dimension nouvelle Qui plus est, on avait presque omis le caractère électoral de certains articles, précisant alors inutilement ce que d'autres articles impliquaient déjà. En plus des controverses, notre nouvelle constitution comprend donc l'électoralisme en prime, une autre dérive de la politique de métier ! Ultime aspect de ce vote, la faible participation et le contrecoup subi par les forces politiques majeures poussent l'opposition (MCG, UDC et certaines associations) à organiser la résistance. Reste à savoir si elles le feront avec plus d'égards envers la symbolique et la nature d'une constitution. De l'autre côté, le consensus s'imagine déjà adapter les lois en fonction du nouveau texte : on se rendra vite compte de la difficulté de la tâche, tant les mots mal choisis et les approximations y sont maîtres. Le peuple pourra alors, en dernière instance, condamner cet abus de confiance des partis dominants sans plus présumer de leur innocence que la nouvelle constitution ne le suggére. auteur : Thomas Mazzone
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